On pourrait penser, dans les premières minutes de L’Hirondelle noire, se trouver face à une fiction ethnologique consacrée à la communauté tzigane de Bulgarie, les Romani. Introduction sans esthétique, ouvertement documentaire : corps pêle-mêle endormis dans la salle commune, enfants, adolescents, parents, toute la famille. Mais cette entrée en matière est partiellement trompeuse, et L’Hirondelle noire s’apprête à nous promener, non sans embardées et approximations, de la fiction documentaire à l’onirisme, de la fable politique aux rebondissements feuilletonesques et à la satyre, successivement ou simultanément, en un déroulement véritablement picaresque, parfois réjouissant, en tout cas surprenant.
A suivre les pérégrinations d’Alexandra, 17 ans, que son désir d’indépendance contraint à enfreindre les lois du groupe (Lubov Lubtcheva, actrice indécidable, qui se plie impunément à tous les méandres que fait subir le film à son personnage), on entre dans un vertige de scènes de genre mélangées, de faux raccords allègres et de coq-à-l’âne narratifs superbes ou poussifs. On balance sans cesse des chants folkloriques aux voitures des nouveaux riches, de la guérison miraculeuse (par l’amour) d’un ermite semi-idiot aux visions alarmistes des ruines industrielles du monde post-soviétique (avec parfois, hélas, les ruines esthétiques d’un certain cinéma soviétique que le réalisateur, Georgui Dulguerov, élève de l’Institut de Cinéma de Moscou dans les années 60 -aujourd’hui professeur de cinéma à Sofia et réalisateur a la carrière conséquente- , a dû apprendre par cœur). Ce caractère globalement indécis résume le charme du film en même temps qu’il dessine ses limites. Il y a de fait quelque chose de plutôt réjouissant à appréhender un univers ou les codes du cinéma occidental (américain) rendent l’âme à force d’être expédiés à la va-comme-je-te-pousse ou confrontés à une réalité culturelle qu’ils peinent manifestement à contenir. Mais ce joyeux désordre implique finalement l’impossibilité, pour le film, de choisir entre les tendances qui le tiraillent ; il lui interdit même, au fond, de véritablement nous raconter son histoire, à l’instar de son héroïne, elle-même littéralement tiraillée entre les catégories esthétiques et scénariques qu’il lui faut assumer. Magie du cinéma : la presque fillette ethnologique du début peut virer nymphette très dénudée, voire femme fatale ; c’est une question de cadre et d’éclairage. Elle peut même disparaître purement et simplement, s’envoler par la fenêtre lorsque le conte reprend ses droits pour en faire L’Hirondelle noire du titre. Fin très belle en soi, mais roublarde : c’est que le film ne lui a ménagé aucune porte de sortie.
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