Petit rappel des faits : en 1973, L’Exorciste débarquait sur les écrans américains, terrorisant ses spectateurs avant de gagner au fil des ans ses galons de film culte, garantis par une aura traumatique qui ne s’est pas amoindrie avec le temps. Alors, qu’en est-il aujourd’hui des glaires abondantes de Linda Blair et de ses violentes branlettes au crucifix ? Toujours aussi efficaces, le dépoussiérage en plus : car cette seconde version conforme aux vrais désirs de William Friedkin comporte une poignée de séquences additionnelles et un enrobage sonore digne du THX lucasien. Fontaine de jouvence sur laquelle pleuvent les dollars, le director’s cut est un procédé mercantile de plus en plus répandu (voir les sorties prochaines de La Horde sauvage et de Apocalypse now liftés bien comme il faut) et malgré ça difficilement contestable, étant donné le plaisir pris devant les moult bonus shots livrés à notre gloutonnerie cinéphage. En l’occurrence, ceux de L’Exorciste s’avèrent assez inégaux, souvent réjouissants (une acrobatie de Linda descendant les escaliers sur le dos avec les borborygmes qu’on lui connaît, une visite chez le médecin coupée au montage initial) mais parfois inutiles (nouvelles images subliminales du démon Pazuzu et autant d’afféteries ridicules, dialogue final sans grand intérêt entre le père Dyer et le lieutenant Kinderman).
Quoi qu’il en soit, le film ne souffre aucunement de ses récentes coutures et conserve toute sa puissance originelle, forcément accrue par une première vision sur grand écran. A partir d’un postulat un rien débile (deux prêtres exorcisent une petite fille possédée), William Friedkin et le romancier William Peter Blatty ont construit un récit d’une intensité rare, aux personnages sombres et complexes. Voir celui du père Karras (Jason Miller), tiraillé entre la foi et la raison, son statut de religieux et sa fonction de psychiatre. Culpabilisé par la mort de sa mère, Damien Karras apparaît comme une figure en lutte contre le doute et un désespoir latent, l’exorcisme de Regan agissant sur lui à la manière d’une catharsis expiatoire, de la véhémence à la contrition sacrificielle. Bizarrement, revoir L’Exorciste s’apparente davantage à une expérience plus émouvante qu’horrifique, le film fonctionnant un peu à la manière d’un mélodrame classique, avec sa mère aux abois (Ellen Burstyn, bouleversante) et cette idée de croyance, au sens le plus catholique du terme, qui surplombe le récit telle une force inaltérable et conquérante. William Friedkin était à cette époque capable de nous donner la chair de poule devant le moindre de ses plans (notamment lors du sublime prologue irakien, envoûtant à souhait), portés par une beauté et une profondeur rarement égalées dans le cinéma fantastique. Tout en versant des larmes sur les lévitations de Regan et les yeux mélancoliques de Karras, on se demande comment un artiste de cette trempe a pu se muer en triste faiseur hollywoodien.