Parce que le film de Fernando Trueba est triste et sans intérêt, il faut plutôt parler d’un film fantôme qui n’a pas vu le jour et aurait dû porter le même titre, ou presque. Ce devait être La Promesa de Shanghai, quatrième long-métrage du grand cinéaste Victor Erice. L’adaptation d’un roman de Juan Marsé, intitulé Les Nuits de Shanghai, avait été confiée à Erice, dont le dernier long, le dernier chef-d’oeuvre, remonte déjà à plus de dix ans (Le Songe de la lumière, 1992). Après un long travail, Erice a livré un scénario, puis commencé les repérages. C’est alors qu’on lui a retiré l’enfant des mains, pour le confier au tocard en chef Trueba, qui chez lui jouit d’une sorte de ridicule prestige (l’effet Oscar, pour Belle époque). Maigre consolation, car le navet de Trueba est sorti, lui, Erice a pu publier son scénario, dans lequel, puisque l’on ne peut préjuger de la qualité du film fantôme, on peut voir ce que c’est qu’un travail d’adaptation littéraire.
Le roman de Marsé se situe à Barcelone, en 1948. Le narrateur adolescent, convié au chevet d’une jeune tuberculeuse, reçoit avec elle le récit d’un imposteur, qui leur conte les exploits du père de celle-ci, anarchiste en exil, dans les brumes de Shanghai. Récit qui dans l’imaginaire des enfants prend la forme d’un film noir -le roman est truffé de référence au genre, Shanghai gesture évidemment.. On ne sait pas si la mise en scène de Erice aurait été à la hauteur, himalayenne, de celles de ses autres films. Néanmoins une chose est sûre, il y avait dans son scénario une idée d’adaptation qui est une pure idée de cinéma. Erice voulait en effet ne montrer aucune image de Shanghai, faire vivre le récit uniquement par des signes -des objets- éparpillés dans l’espace de l’écoute, ceci pour éviter le pastiche du film noir qui, loin de faire remonter à la surface les sensations primitives des spectateurs que le roman agite subtilement, les dilue dans la matière grasse du « à la manière de ». Trueba, lui, avec ses gros sabots livre une reconstitution à la fois kitsch et académique, molle, mal jouée, bêtement littérale, éclairée comme un sapin de Noël.
L’Espagne et son pauvre cinéma n’ont que deux grands cinéastes vivants, Almodovar et Erice, et ne savent pas en prendre soin. L’un est toujours vu comme la folle de la movida (ses films marchent, on va les voir parce qu’Almodovar est célèbre, mais la critique ne suit pas, voire le méprise), l’autre est momifié de son vivant et dans ses bandelettes étouffe et ne peut plus bouger. Ses multiples projets avortés, son image pétrifiée dans le mythe mensonger du cinéaste qui tourne rarement parce que son inspiration est aussi rare que puissante, Erice la paie et ses films aussi. Sa dernière production en date, le court-métrage Alumbriamento, fut une franche déception. Quant à Trueba il va bien, merci. Tiens, de colère on lui fout 0/5.