Dès l’affiche, qui confine le casting poivre et sel dans une gravité d’enterrement, on comprend tout de suite. L’Enlèvement est conçu pour le profil adulte du spectateur, le cadre mature qui n’aime rien moins que déguster les mécanismes d’un film sérieux sans effort. Celui qui, après une grosse semaine de boulot, envisage le cinéma comme une sorte de plateau télé géant, le standing en plus. A l’épate, on préfère la force tranquille, moins crevante, et face à la rage expérimentale, c’est forcément le classicisme qui l’emporte. Dans ce cinéma-hobby, il y a indubitablement la jouissance paisible de faire les meilleures soupes dans les plus vieux plats. Alors Pieter Jan Brugge n’est certes pas tout à fait un professionnel de la profession, mais il a la cinquantaine rassurante. Et le carnet d’adresse qui va avec : producteur de Mann et de Pakula, ça laisse de bonnes traces, relationnelles et artistiques.
Car il faut bien le reconnaître, Robert Redford et Helen Mirren subliment au poil le rêve de la pré-retraite du bosseur resplendissant, avec maison au design Art & décoration, grands enfants bien dans leurs pompes et berline intérieur cuir toute-équipée. En fait, L’Enlèvement ne fera que jouer sur la mise en identification, film à thèse mou qui lorgnerait plus vers le huit-clos théâtral populo (vrais-faux événements de type Delon-Huster ou Bruel-Webber) que vers le polar social. Redford joue donc un industriel self made man et a trompé sa femme avec une plus jeune. Pour tout ça, il se fait kidnapper par un type du quartier voisin (Dafoe), même oeil vif, du charme aussi, mais la chance en moins. Allez, les deux pourraient être vous, oui vous, spectateur du monde du travail, monsieur tout-le-monde ulcéré par un collègue plus chanceux ou détesté par un autre qui trime dans l’indifférence. Pendant ce temps, la famille de Redford se morfond entre la peur de la mort, la colère post-adultérine et ces salauds du FBI qui ne s’essuient jamais les pieds avant d’entrer.
Pourtant ce scénario carré n’empêche pas Brugge de stresser. Il n’est sûr de rien, ni du face-à-face Redford-Dafoe, ni des thématiques sociales du scénario, encore moins de l’action. Passé une introduction stylée comme du Michael Mann, le film arrête net la fluidité lyrique. Retour au trivial, au psychologique à deux euros, à cette indécrottable vraisemblance sociologique qui fige le thriller dans la naphtaline : la moustache de Dafoe qui se décolle sous l’oeil averti de Redford, les dialogues à double sens qui cachent un truc, la justification permanente des personnages et une overdose de gravité de supermarché. Pour le reste, en revanche, pilotage automatique tout du long. Surtout, aucun tempo alors que le scénario qui divise temps, lieu et personnages, nécessitait mieux qu’un vulgaire assemblage. A tel point que l’Enlèvement, qui s’autoproclame pourtant bon film sérieux pour adultes, peine même à atteindre le « divertissement d’honnête facture ».