Qu’il est beau ce gros film d’auteur, qu’il est fier, bombé et flamboyant. Comme les stars qui jouent dedans paraissent frétillantes, ravies de tourner pour Danis Tanovic, le serbo-croate le plus sexy de toute la place de Paris. On les imagine d’ici à janvier prochain grignoter des petits fours au Fouquet’s tout en jubilant de leurs nominations aux Césars. Voila, L’Enfer, c’est à peu près cela : un carré VIP un samedi soir, un coté grande famille de la jet set piaffant sur la photo. Avec en pivot, une minute de silence au géant disparu (Kieslowski) à qui on se doit de tirer une révérence digne et bien visible, hommage aux lignes d’un scénario non tourné. Entendons nous bien, cet épouvantable chapeau-l’artiste vibrant de dignité people en Rayban 50 carats est davantage imputable aux signes extérieurs de richesse du cinéma français qu’au principe même de l’élève achevant le travail de son maître. Se rappeler Heaven, production internationale signée Tom Tykwer (Cours, Lola, cours) avec Cate Blanchett, premier volet de la fameuse trilogie inachevée de l’auteur du Décalogue, sans plus d’intérêt qu’un essai festivalier foutraque mais mille fois plus modeste que ce pensum bourgeois.
Ça commence par une métaphore poids lourds filmé en kaléidoscope (parce que la vie, on la comprend par fragments, petit homme), celle du coucou boutant les oeufs hors du nid, lequel oiseau de malheur est recueilli par un badaud croyant bien faire. Lire entre les lignes donc, la vision éléphantesque de Tanovic : les innocents ne sont pas ceux qu’on croit et les bons sont toujours trop cons. D’où malentendus en pagaille, grosses surprises et ramifications lointaines, soit un bon film choral archi-roublard où le gratin gratine chacun son tour la bouche en coeur. Au premier rang, Emmanuelle Béart en femme sublime trompée par son mec (Gamblin), petit photographe du monde qui lui préfère une collègue quelconque. Suivent Karin Viard, bonne pâte qui se sacrifie pour sa mère handicapée (Bouquet, muette, grisonnante et yeux noirs haineux), subitement draguouillée par un jeunot (Canet) et Marie Gillain en amoureuse despotique de son prof de fac quinqua qui, lui, n’en veut plus.
Que le film enfonce des portes ouvertes comme l’enquête vibrante de désir refoulé dans un palace polanskien, des engueulades violentes où les assiettes Habitat se brisent en mille morceaux, est une chose. Qu’il croie devoir jouer la grandiloquence stylistique en révèle au moins deux autres. Primo, la puissance de Tanovic ne consiste qu’en un académisme boosté d’élégance bourgeoise (F5 à gros coussins, belles plantes vertes, bistros cossus sublimés avec gourmandise par une superbe photo art déco), qui certes, alourdit images et situations d’une gravité sonnante et trébuchante, mais n’en dévoile que mieux la pauvreté flagrante de la scénographie. En témoigne la thèse du film tiré de l’enfer de Dante, incapable de se déployer autrement que par une scène d’examen oral que déclame Marie Gillain d’un ton scolaire dans une splendide salle de conférence. Ensuite, l’insupportable cabotinage de comédiens dévoués à une performance narcissique du pire effet, dont le film ne finit jamais de se gargariser, invitant même les légendes du terroir à camper les seconds rôles. Mention spéciale à Jean Rochefort qui frise sa moustache pour trente secondes purement gratuites à l’écran, énième signe d’opulence de nouveau riche, qui n’aime rien tant que pleurer en grand sage, la détresse profonde des privilégiés.