Ce n’est que son deuxième long métrage, et pourtant L’Enfant d’en haut marque déjà cruellement les limites du cinéma d’Ursula Meier. Celles d’un système dramaturgique, qui pouvait séduire partiellement dans Home, et qui consiste à couper le récit en deux parties bien repérables. La première brosse le portrait d’une petite communauté en marge (littéralement dans le premier film), vivant vaille que vaille de ce qui est à sa portée. Là où Home faisait du quotidien de sa famille une petite utopie plutôt désirable, ce deuxième opus s’annonce plus troublant au départ. Il accompagne un garçonnet de 12 ans qui trouve, dans les petits larcins qu’il commet dans une station de ski, le moyen de faire subsister le couple étrange qu’il forme avec sa soeur au chômage (Léa Seydoux). Durant un bon quart d’heure, on suit donc Simon, Rosetta de poche, exhumant et dissimulant skis, gants, casques, prenant le téléphérique, rentrant le soir dans son HLM comme on rentre du boulot. S’esquisse en quelques images l’horizon d’une chronique sociale de plus, mais dont le cadre et le moteur (ce petit homme, donc) se distinguent suffisamment du tout venant (Louise Wimmer, Une Vie meilleure) pour attiser la curiosité.
Sauf qu’au bout de trois quart-d’heure, comme dans Home, surgit du carton à chapeau un indigeste programme d’éclaircissement de la situation. Car évidemment, le môme ne peut pas vivoter ainsi par hasard : on se doutait bien dès l’entame qu’il faudrait à un moment, pour avancer, faire la lumière sur le passé de cette famille de fortune, l’absence des parents, etc. Le souci est que, passant brutalement du statu quo de départ, qui échappait plus ou moins au misérabilisme, à la remontée de cette vérité refoulée, Meier a du mal (encore plus que dans Home) à dépasser le simple alignement appliqué de signes de crise. Le petit voleur, dont la complicité avec sa sœur avait ceci d’intrigant qu’aucun geste de tendresse ne la soulignait tout à fait, se mue soudain en petite teigne bavarde, revancharde, brutale. Les corps se rencontrent enfin, sous la forme de bagarres post-Pialat, mais de ces quelques scènes d’implosion de la micro-cellule familiale, on ne retient au fond que la dimension de psychodrame. Et c’est à ce moment là, quand tout est – enfin – dit, que l’on comprend qu’il sera impossible à Meier de s’affranchir de cette pente régressive.
La dernière partie de L’Enfant d’en haut ne sera alors qu’une succession de séquences aspirant à iconiser un Simon supposé rejoindre la lignée des grands « enfants perdus » du cinéma (en cousin mollasson du gamin au vélo des Dardenne bros), naviguant de haut en bas, toujours par le biais du téléphérique, sans réelle promesse d’échappée. Dans cette perspective up and down, c’est surtout la grande difficulté de la cinéaste à exploiter le lieu du drame qui devient embarrassante. Car si, au départ, le contraste est intéressant entre la blancheur dominante de la station de ski et la grisaille de la cité (il figure assez efficacement le hiatus géographique et social), les deux territoires ne servent plus à la fin que de supports plats pour une compilation de postures de crise pré-adolescente : Simon crie, se jette par-terre, balance dangereusement entre ciel et terre, etc. Et le film, ne sachant manifestement plus trop quoi faire de corps et d’un scénario devenus trop lourds, de s’achever par une enfilade de plans soulignant la fin d’une époque, à la portée symbolique franchement embarrassante.