Titre pompeux, rues grisâtres du Pas de Calais qui feraient passer un décor de Claude Chabrol pour du Tony Scott, L’Enfance du mal plonge tout droit dans l’enfer du polar français, celui qui lit le journal en fumant la pipe pendant qu’il pleut dehors (du crachin). Sans tordre clairement le cou au genre, l’apprenti Olivier Coussemacq (premier film) cherche davantage à le faire imploser. De façon franche et directe, puisque l’enfance du mal du titre est une jeune gamine de quinze ans qui piège un couple de notables afin de faire sortir sa mère de prison. Le récit a beau en faire une femme fatale perverse, on lui trouve rapidement des circonstances atténuantes : enfance malheureuse, amour éperdu de sa mère et haine quasi-marxiste du petit bourgeois provincial et vermoulu. Victimes dans les faits, les deux pigeons ont pourtant la tête de coupables de tribunaux révolutionnaires. Le mari, juge paternaliste pétri de suffisance, perd de sa dignité au moindre contact de la nymphette pendant que son épouse lustre de vieux bibelots en porcelaine pour occuper ses après-midi.
Discret mais volontiers sadique, le film emprunte l’humeur vengeresse de la gamine. L’on observe aussi bien le mal au travail, en spectateur subjugué (le coté film noir classique, bien troussé), qu’une lutte des classes acharnée dans une suite de tableaux étouffant d’austérité et de détails qui tuent : peur panique du juge petit curé lorsqu’il est pris la main dans le sac, arrogance pavlovienne de son épouse, même dans le déshonneur et la débâcle. Pas une once d’humour ni d’ironie chaleureuse, à la Chabrol, mais du dégoût en barres, de la crispation qui confine au mépris, passablement asséché d’humour (même Solondz est plus rigolo). Il s’agit moins de tacler le bourgeois par à coups que d’en restituer le pathétique dans ses moindres détails et sur la durée. Le film fait ça très bien, mâchant sa vengeance comme on mastique de la viande séchée, tout cela très sobrement (pas de grande scène, mais pas d’hystérie non plus), suivant le crescendo du récit en petit maître conteur. Concluons sur les acteurs, tous admirables, notamment la jeune Anaïs Demoustier, absolument parfaite en french Lolita psychotique.