Une scène, au milieu du film : trois flics, de dos, en bord de route, dégobillent à l’unisson. L’image, immonde, vaut comme symptôme. De quoi ? De la vulgarité suffocante du dernier Veber ? De sa bassesse inouïe, de son indécente nullité ? De tout cela, oui. Mais si l’image est un symptôme, c’est aussi que le film entier est malade. Pas au sens du « grand film malade », cette antienne critique inventée pour repêcher un canard boiteux dans une oeuvre aimée. Non, au sens où le geste même du film est malade, emporté par une morbidité terminale, une nausée sans soulagement. Au point qu’il s’y dessine une espèce de portrait du cinéma de Veber en nosographie, où toutes ses tares, de simple prodromes décelables dans Le Placard ou La Doublure, remontent ici en pathologies pures. Le film est malade au sens où ces symptômes, comme on le dit d’un cancer, se généralisent.
D’abord il y a, bien sûr, cette obsession maladive du contrôle, qui fait rapatrier à la caméra de Veber le scénario jadis légué à Molinaro, ce après avoir, déjà, auto-remaké ses french blockbusters à Hollywood. C’est ce qui frappe le plus, à voir le désintérêt manifeste qu’il a pour son histoire et ses personnages(c’est inouï, le film tient à peine debout) : seule importe ici cette logique de petit comptable pingre venu récupérer ses subsides. Aussi l’indigence de L’Emmerdeur doit-elle moins aux limites d’un savoir-faire (qui opérait vaguement à l’époque de La Chèvre), qu’à un manque absolu, et assez sidérant, de désir pour ce qu’il filme, à la limite du dégoût, Veber se soulageant de ses scènes comme on pèle un eczéma. En cela, on le disait, le film fait aussi remonter une série de pathologies déjà contenues dans le limon de ses prédécesseurs, et qui se présente comme un empilement de phobies.
Phobie des corps, avant tout : ici le contact, au sein de l’éternel tandem masculin veberien, est promis à un double horizon : ou bien le cadavre (gag morbide et récurrent: un corps s’allonge et on le croit mort), ou bien le gag homophobe (deux corps s’allongent et on croit qu’ils s’enculent – remember Le Placard). Cette phobie qui n’est pas neuve et qui est aussi une phobie du peuple (on sent bien que Veber s’est toujours identifié aux puissants de ses films, jamais au côté Pignon) contamine tout le regard du film, laissant choir sans égards ses personnages, pantins disloqués au bout des fils mollement tendus par la mise en scène. Avec L’Emmerdeur, Veber, petit marionnettiste misanthrope et cynique à crever, vient de faire entrer son cinéma dans sa phase terminale. À un pareil stade, on ne voit guère qu’une solution : débrancher les fils.