Après une décennie passée à rater des blockbusters (Les Larmes du soleil, King Arthur), Antoine Fuqua se contente de réchauffer un polar du ghetto. L’Elite de Brooklyn mélange les restes de Training day, son plus grand succès, et l’oeuvre complète d’Inarritu dont on s’imagine que le scénariste a kiffé grave la dimension « destins croisés ». Trois segments avec une star chacune, représentant une frange de l’élite brooklynienne à la croisée des chemins. Flicaillon de bas étage, Richard Gere picole tristement en attendant sa retraite dans une semaine, avant de boucler la meilleure enquête de sa carrière. Flic infiltré dans un gang de gangsta rappeurs narcotrafiquants, Don Cheadle est contraint de balancer son meilleur pote (Wesley Snipes), gros bonnet fraichement sorti de prison. Enfin, Ethan Hawke, flic de choc endetté jusqu’au cou, braque l’argent sale des dealers pour payer un joli pavillon à sa famille nombreuse (qu’il aime plus que tout of course).
A part ça ? Pas grand-chose justement, sinon la confirmation d’une poignée d’évidences. 1) Qu’un cinéaste n’arrive jamais à reproduire un succès à l’identique dix ans après, surtout porté par une telle dream team de vieux croûtons au bord du suicide. Serait-ce du gangsta movie crépusculaire ? Plutôt le crépuscule du gangsta, genre qu’on devinait moribond (que sont devenus John Singleton et Spike Lee ?) sans nouvelles figures de proue, dénuée du moindre approfondissement grammatical, et que Fuqua ringardise à coups de pelle, en toilettant tout le bestiaire nineties à la manière d’un taxidermiste. 2) Qu’Antoine Fuqua n’est plus vraiment cinéaste, tout au plus mâchouilleur d’images professionnel, un faiseur triste, bureaucrate, au regard éteint, complètement soumis à la mécanique horlogère du scénario. Fuqua se contente de bouger ses automates, comme ces plans alambiqués à la fin, où les trois stars se croisent sans le savoir, sans autre but que de générer une micro excitation lelouchienne revue et corrigée par un Stomy Bugsy local (« c’est la vie quotidienne du ghetto, mec »).
Dommage pour Richard Gere, sans doute le meilleur de la distribution, qui compose un vieux playboy houellebecquien las et pathétique, à deux doigts du rôle miroir. Jouant sa partition avec une sobriété plus modeste que classieuse (même quant il boit ou qu’il sauve des femmes) Richard résiste courageusement par la mollesse au destin sévèrement burné que lui réserve la fiction, se livrant à un numéro d’autocritique plutôt touchant, questionnant sans cesse son sex appeal, testant ses vieux trucs de séducteurs. Dans le film, Gere baise régulièrement une jeune prostituée dont il s’énamoure par éclairs, alternant rêveries diverses (fantasmes d’un amour naissant, malgré la situation et la différence d’âge) et brusques retours à la réalité (lorsqu’il supplie qu’elle calme l’intensité des ébats). Quelque chose se passe puisque sa partenaire réagit pareil, troublée et surprise, entre deux séquences de compassion purement professionnelles. Pas de doute, rien qu’avec ça, il y avait de quoi faire un bon film.