A première vue, L’Effet papillon surfe sur la vague post-Donnie Darko, le petit film-culte de Richard Kelly. Une chronique adolescente banlieusarde où l’horreur se tapit dans les recoins de centres pavillonnaires les plus tranquilles. Plus précisément l’histoire d’Evan, un jeune homme victime de trous de mémoire récurrents qui l’obligent à noter tous ses souvenirs, particulièrement les plus effrayants, sur des feuilles de papier. Le premier tiers du film saisit par sa violence et la finesse de sa description : Evan, sa copine et deux acolytes, un gentil nounours et une petite brute, multiplient les coups fourrés jusqu’à ce qu’un drame se produise : une explosion qui provoque la mort de deux voisins. Jusqu’ici, L’Effet papillon, entre réalisme feutré et trouées de violence inouïe (le thème de la pédophilie abordé assez frontalement), s’apparente à une fable cruelle sur l’enfance middle-class US.
Mais une rupture survient au moment où le film livre sa clé, son truc : Evan découvre qu’il est capable, à partir des traces écrites de son passé, d’y revenir pour en modifier la donne. Problème : chaque détail qu’il change pour faire le bien entraîne des bouleversements qui produisent bien pire ailleurs. Air connu : chaque détail change tout, un battement d’ailes de papillon en Australie peut provoquer un raz-de-marée au Canada. Découvrant naïvement les vertus acidulées de cette théorie archi-connue, les réalisateurs néophytes Eric Bress et J. Mackye Gruber (déjà auteurs du scénario halluciné de Destination finale 2) s’amusent comme des petits fous : un minuscule truc modifié ici, et le film change de ton, de style, de couleurs. Un gros machin bidouillé par là, il bascule sans prévenir sur une autre piste. Folie des ailleurs et des vies multiplement recommencées : pris dans les vertiges de ce théorème-gadget, L’Effet papillon délaisse bien vite la gravité envoûtante de sa première partie pour se laisser aller à une sorte de Tournez-manèges existentiel complètement délirant. A l’angoisse larvée succèdent souffles coupés et rires hilares, effets salvateurs et pirouettes fatales.
Le film garde pour lui une certaine candeur, un soin bonhomme à exploiter son concept jusque dans ses plus infimes variations. On peut regretter l’aspect sous-Spike Jonze de l’ensemble et en même temps reconnaître que les deux réalisateurs font mieux qu’un travail à l’épate de petits malins. Ni excès de sérieux ni prétention ici, juste le plaisir d’un concept un peu fumeux vite rattrapé par les enjeux formalistes qu’il induit. De là la perte d’une certaine ampleur dramatique au profit d’accélérations et de sautes de rythme purement performatives, une sorte de roulé-boulé scénaristique engendrant, plus qu’un « effet papillon », un « effet boule de neige » qui emporte tout sur son passage : forme, intrigue, récit et principes d’identification les plus sommaires. Derrière ce remue-ménage, pas grand chose ne reste évidemment : à peine le sentiment d’une sympathique entourloupette spatio-temporelle dont les cinéastes, plus que le spectateur, semblent les premières victimes.