Voilà le film parfait pour accompagner le lancement de la nouvelle offensive gouvernementale contre les Arabes (appelée aussi débat sur la laïcité) : dans L’Assaut on voit des barbus au regard noir hurler que Dieu est grand dans leur langue gutturale, tirer sur d’innocents fonctionnaires de la République, abattre leurs pauvres semblables de sang-froid et donner du fil à retordre au GIGN pourtant rompu aux subtilités de la négociation. Parce que – et c’est le principal enseignement du film – on ne négocie pas avec les terroristes. On a beau essayer, quand on a affaire à de vrais fanatiques, ils préfèrent Dieu à leur mère et un bain de leur propre sang à une demi-réussite médiatique. L’Assaut tombe bien, donc, ou mal si l’on ressent, même de très loin, le grand vent de liberté qui anime les peuples arabes seize ans après les faits.
Les faits, justement : Noël 1994, des terroristes du GIA détournent un avion d’Air France sur le tarmac de l’aéroport d’Alger. Ils libèrent quelques otages et exigent du carburant pour voler vers Paris. Le scénario déploie trois storylines pour raconter la suite : la vie à l’intérieur de l’avion (cette communauté tachycardique que crée une catastrophe, deux ou trois plans en tout et pour tout), le GIGN dont le membre saillant est interprété par Vincent Elbaz, et enfin les manœuvres en coulisses des (cyniques) autorités françaises. Considérées séparément, ces sous-intrigues sont nullissimes, mal mises en scène, filmées caméra à l’épaule en confondant la puissante nervosité de The Shield ou 24 et la fébrilité pure et simple. Et pourtant il serait injuste de ne pas reconnaître que le suspense finit par prendre, et par bien prendre : au milieu du film l’avion décolle d’Alger, laissant sur place les débats psychologiques et moraux, comme si c’était depuis le début un article à rayer de son cahier des charges. Le film s’envole alors, quand la mécanique devient souveraine, son morceau médian accouchant d’un engrenage plutôt haletant, complètement libéré d’autres enjeux que ceux liés au déclenchement de l’assaut. Mais cet assaut éponyme fonctionne si bien comme MacGuffin qu’on est presque peinés de le voir enfin survenir, d’autant plus qu’il est un cas d’école de mauvaise scénarisation et de suspense gâché.
Hésitant sans cesse entre réalisme documentaire et romantisme policier, entre Vol 93 et Mafiosa (dont l’inspecteur ripou de la saison 2 joue ici le rôle d’un responsable du Quai d’Orsay), L’Assaut appartient évidemment à l’univers désenchanté de la fiction télévisuelle française. Aussi peut-on s’interroger sur son incapacité à accomplir ce que les panneaux de fin nous révèlent avoir été son ambition profonde : rendre hommage aux hommes du GIGN qui ont fait preuve d’un courage au demeurant extraordinaire. Qu’est-ce qui a bien pu empêcher Julien Leclercq d’héroïser ces héros de fait ? Probablement un attachement aveugle à sa mission de témoignage, un désir ici impertinent d’équilibrer la balance, de montrer la part d’ombre de l’agent « Thierry » sur lequel est jeté, sans droit de suite, le soupçon d’être mû par des pulsions suicidaires lorsqu’il demande à être en première ligne au moment de l’assaut. Cette symétrie des nihilismes est de mauvais aloi, pour ne pas dire franchement scandaleuse. Elle illustre en tous cas l’affolement de Leclerq arrivé aux trois quarts de son film sans propos fort à faire valoir au moment de conclure en fanfare. A refuser de s’engager résolument du côté qui est le sien, à refuser de tenter de faire de ce côté le nôtre, Julien Leclercq finit ainsi par réaliser un film exsangue et froid, à l’image de ses couleurs délavées, hivernales, aussi dépourvues de lumière que celles des pubs pour l’Armée de Terre qui ont au moins le mérite de susciter des vocations. L’Assaut pour sa part ne suscite qu’une question, désagréable et lancinante : à quoi bon, seize ans plus tard, pondre une fiction-docu de basse intensité où seules surnagent les voix horrifiques de barbus calamistrés ? La réponse dans le prochain sondage Harris.