Le cinéma d’Emmanuel Mouret, c’est un style français (la comédie intellectuelle, Truffaut, mais surtout Rohmer), un style américain (burlesque et comique de situation) mais aussi un romantisme slave (omniprésence de Tchaïkovski, Dvorak, Khatchatourian), une tendance à l’amour monstre, aux passions folles et cruelles. Le tout se maintient dans une sorte de féérie pathétique, un spectacle enchanteur dans lequel Mouret, également acteur, inscrit son fabuleux visage lunaire, se fait le jouet de désirs qui le laissent tremblant et bafouilleur, admirablement mal à l’aise. Première inquiétude à l’approche de L’Art d’aimer : Mouret ne fait pas, ou peu partie du casting, effacé derrière un chapelet de stars locales (Judith Godrèche, François Cluzet, Julie Depardieu, Stanislas Merhar, Gaspard Ulliel, Ariane Ascaride, etc.). Avec cet ingrédient principal en moins et ces grumeaux de célébrités en plus, on craint que la subtile recette de son univers ne soit gâchée, du moins ne perde ce mélange intéressant de préciosité et de bouffonnerie qui en 2004 avait fait défaut dans Vénus et Fleur, pastiche rohmérien un peu sec dans lequel Mouret ne faisait qu’une apparition éclair.
A l’arrivée, on sera donc peu surpris de découvrir un film allégé en gags, infiniment moins burlesque que le Mouret précédent (Fais-moi plaisir), reprenant d’Un Baiser s’il vous plaît les reflets passionnels mais sans l’humour folâtre. L’Art d’aimer compile six histoires racontant toutes, en substance, l’amour empêché, menacé, retardé, impossible ou invisible. A son habitude, le cinéaste théorise de façon amusante le mystère amoureux, aborde la passion en professeur farfelu, en savant fou. Chez Mouret, de manière générale, on parle souvent d’amour devant des tableaux noirs couverts d’équations : les personnages cherchent à inventer la formule (ou pour le cinéaste, l’image) d’un sentiment qui n’en fait qu’à sa tête, tombe comme la foudre et rebondit toujours ailleurs. L’image de l’amour ne survient qu’au moment où la fiction a épuisé tous ses possibles : dans ses films, l’amour est une force abstraite, impossible à saisir en tant qu’objet reconnaissable (cf. dans L’Art d’aimer les monochromes correspondant aux « musiques de l’amour » – cf. aussi la passion entre Julie Depardieu et son amant Laurent Stocker, véritable, mais ne s’exprimant que dans le noir). « Qu’est-ce qui vous empêche de m’embrasser ? » demande un homme dans Un Baiser s’il vous plaît. « Une histoire », répond la femme.
Mais il faut bien avouer que L’Art d’aimer est loin d’avoir la tenue des œuvres précédentes : quand les sketchs ne se contentent pas de recycler les films d’avant, donnant au film une désolante allure de best of (Un Baiser, Changement d’adresse sont éclatés partout dans le film), ils manquent cruellement de souffle (qu’on se souvienne seulement de l’étourdissante ouverture de Fais-moi plaisir) et formellement, dépassent très peu la simple facture télévisuelle. On se demande aussi vers quoi s’oriente aujourd’hui Mouret, après avoir tout dit et redit sur le même sujet. Attendons la suite, mais si de film en film son oeuvre sur l’amour s’effeuille comme la marguerite, c’est seulement sur un « Je t’aime un peu » que l’on tombe avec L’Art d’aimer.