Avec ses airs de petite pochade klapischienne starring Romain Duris, L’Arnacoeur a plutôt de quoi effrayer sur le papier. Briseur de couples professionnel, Duris tombe sur Vanessa Paradis, redoutable fille à papa : on voit venir à des kilomètres ce petit scénario trempé à la sitcom France 2 acidulée (Pascal Chaumeil, auteur de séries comme Fais pas ci fais pas ça). Mais surprise : L’Arnacoeur est hilarant et souvent jubilatoire. La mise en scène rudimentaire de Chaumeil n’y est pas pour grand chose, mais on sent dans cette maîtrise d’artisan télévisuel sans ambition la même énergie qui portait un film aussi réussi que Brice de Nice : vitesse et simplicité au service d’un scénario d’une redoutable efficacité burlesque. Cette efficacité, comme celle de cet illustre prédécesseur, repose sur une arme à double tranchant de la comédie française de milieu de tableau, soit tout remettre entre les mains d’un concept plus ou moins fumeux: dans Brice, le concept Dujardin qui préexistait au film ; ici, une idée-pitch-paf comme le cinéma américain en regorge (le fameux pitch en 3 mots à 1 millions de dollars), cette « entreprise à briser les couples » constituée d’un trio parfaitement huilé (Duris en caricature de lui-même, François Damiens et Julie Ferrier en assistants-clampins) qu’on ne serait pas étonné de voir remaké assez vite par un grand studio US.
Le film doit énormément à François Damiens, prodigieux comme jamais, et qui réussit à étendre à la durée d’un film entier le génie de ses meilleures séquences dans OSS 117. Agissant en sous-main, laissant Duris jouer avec son image de beau gosse un peu arrogant et limité à quelques mimiques peu raffinées (limites qui rendent d’autant plus efficace ce rôle de petit dandy un peu creux), Damiens vampirise littéralement le film à chacune de ses apparitions, qu’il interprète un faux plombier immigré aux allures de footballeur polonais des années 70 (un must) ou qu’il se complaise dans ce mélange d’hébétude moelleuse et de gaucherie benoîte dont il détient la propriété exclusive. Le show, presque irréel de drôlerie, électrise tout sur son passage et contamine rapidement le récit, transformant la petite romance de supermarché s’imaginant comédie romantique à l’Américaine (Vanessa Paradis, pas mal en mode inversé de Duris) en crépitante usine à gags. C’est bien dans cet enchaînement convulsif, dans cette sécheresse et dans cette férocité ne s’épargnant aucun excès comique que L’Arnacoeur puise sa réussite, une sorte d’énergie animale, un peu sauvage, qui permet de se hisser hors des sentiers battus de la comédie de séduction gentillette à laquelle tout semblait le prédestiner. Pas si fréquent.