L’incarnation du récit est ce qui, en règle générale, fait un peu défaut à la plupart des films de Robert Guédiguian. De fait, bien que le cinéaste prenne toujours parti pour la parole, l’expression nue et souvent théâtrale du ressenti et des intentions de ses personnages, L’Armée du crime s’avère l’antithèse parfaite d’Inglourious basterds. Là où Tarantino fonde l’équilibre de ses séquences sur une parfaite circulation des mots et intonations, le Français mise sur la foi en la simple « sincérité » des personnages. Parfois irritant par son brio, le premier pense la place du spectateur quand le second s’appuie lourdement sur une formulation basique des affects. C’est pourtant d’affect que manque justement ce récit de la mise en place, dans la France occupée, d’une résistance active face à la répression nazie. S’inspirant de l’histoire vraie du gang de Missak Manouchian, ouvrier et poète d’origine arménienne s’étant résolu à prendre les armes, accompagné d’une équipe cosmopolite de jeunes résistants, le cinéaste ne parvient jamais à faire naître dans son film un réel souffle romanesque, à donner corps à la moindre dramaturgie digne de ce nom. S’étendant sur 2h20, son projet d’offrir au cinéma français un grand et beau film alliant Histoire et Cinéma est vite désamorcé par un manque de point de vue propre sur cet épisode – ainsi qu’une assez problématique naïveté dans le brossage des caractères.
Le trio fétiche de Guédiguian (Ariane Ascaride, Gérard Meylan et Jean-Pierre Daroussin) est quant à lui – les deux premiers surtout, Daroussin incarnant l’Inspecteur Pujol, personnage représentatif de la petitesse du fonctionnaire un peu victime des circonstances – mis au second plan au profit de jeunes acteurs étrangers à son univers. Clairement la part la plus convaincante du film, séduisant assez, lors des scènes d’exposition, par leur passage d’une rondeur, d’une presque absence au réel toute adolescente au refus soudain de la fatalité par l’action. De ces figures partagées entre beauté, fragilité juvénile et fougue révolutionnaire aurait pu naître, si le cinéaste ne les voulait pas à tout prix « exemplaires », un vrai positionnement esthétique, un mouvement autonome se détachant par son aveuglement, son obstination butée à exister. Au lieu de quoi le poids du sens finit par les avaler une à une, privant le reste du film de toute perspective autre qu’une fatalité accompagnée de musique et de chants excessivement lyriques.
Reste que malgré sa grande faiblesse de mise en scène, pour ne pas dire son évident ratage, L’Armée du crime ne mérite aucune animosité, la force de Guédiguian – qui, à défaut d’être le cinéaste le mieux armé pour ce type de film, reste un artiste intellectuellement très cohérent – reposant encore, même lorsqu’il cherche à saisir un espace temps a priori peu familier (Le Promeneur du Champ de Mars, cet Armée du crime) ou à filmer des acteurs qu’il connait peu, sur une bien belle croyance : celle que faire un film, c’est avant tout chercher à préserver une foi toujours un peu malmenée, amoindrie par un statu quo souvent inacceptable.