Grondement de joie guttural à la gloire de Rome, exhortation décomplexée à l’écrasement des barbares de tous poils, The Eagle est avant tout un hymne à l’amitié virile, tendance toge. C’est l’histoire de deux beaux gosses, deux compagnons de route, de vie en fait, que tout sépare pourtant. Le premier est finaud comme une armoire, le deuxième plus malicieux, fluet (il joua jadis dans Billy Elliot et aurait sans doute dû y rester). L’un est Romain et fier de l’être, l’autre Britannique et s’en fout, l’un gradé dans l’armée, l’autre esclave.
Convalescent d’une blessure de guerre, le centurion Marcus Aquila (Channing Tatum), parti se changer les idées à l’arène, s’entiche du prisonnier Esca (Jamie Bell), le soustrait au glaive terrible du gladiateur et en fait – avec l’esprit pragmatique qui le caractérise – son serviteur. Sur ce, l’affable guerrier apprend que l’Aigle doré, égaré autrefois par son père, symbole glorieux de l’Empire, a été aperçu dans les terres britanniques du nord, pas encore conquises par Rome. Il se saisit de son esclave, de deux chevaux et bondit par-delà le mur qui sépare les deux territoires, à la recherche du bibelot flavescent, de plus jolis paysages et de castagne revigorante.
Dans ce film où les morts respirent, où les guerres se jouent à douze contre douze, Channing Tatum est comme un poisson dans l’eau. Il distille ses minces répliques avec la grâce d’une imprimante laser et fait parfois les gros yeux quand il est en colère. Donald Sutherland, son oncle hébété, paraît quant à lui sous morphine et flotte avec absence sur ce nanar, comme s’il n’avait jamais quitté sa piscine californienne. Kevin Macdonald, pourtant réalisateur d’un très acceptable Dernier roi d’Ecosse multiplie les plaisantes cartes postales du nord de l’Angleterre donc, plans larges de l’homme isolé dans un milieu hostile et numériquement colorisé. Il fait, au passage, l’inventaire studieux des trouvailles visuelles et sonores, dans le filmage de batailles, qu’ont eu récemment d’autres metteurs en scènes (de Spielberg à Peter Jackson).
Le film a une faculté assez désolante à ne jamais mettre en question la domination absolue exercée par ces Romains parlant américain. Les barbares ont des tronches de salauds et méritent une bonne raclée. Lorsqu’en fin de film, Marcus Aquila esquisse un début de rébellion envers sa hiérarchie, ce n’est que la mignonne histoire de l’élève dépassant le maître qui se rejoue. Dans le pas assuré du centurion vers sa sortie finale, gonflée de fierté mâle, escorté par son petit pote, désormais converti à la cause impérialiste, c’est toute la grandeur totalitaire de son peuple supérieur, conquise en sandales et mains nues turgescentes, qu’il déploie. Pas plus de recul à voir dans ces images. The Eagle c’est un peu Starship troopers sans l’ironie. On l’aura compris, à ceux qui envisagent sérieusement d’envahir un peuple, ce film est vivement recommandé. On en pleurerait si ce n’était pas si drôle, on en rirait si ce n’était pas si ennuyeux.