Adaptant une nouvelle de Philip K. Dick et s’engouffrant dans un sillon post-Matrix labouré avant lui par le tank Inception, L’Agence fait son marché, à son tour, au rayon réalités parallèles et paranoïa. Fauché in extremis dans sa course au Sénat par des médias mal intentionnés, un jeune et brillant politicien (Matt Damon, toujours impeccable) fait une pause pipi avant de monter sur scène consoler ses ouailles. Hasard, coïncidence : aux pipi-rooms une fille s’était cachée, une fille de rêve qui vaut à Damon un coup de foudre (belle scène de séduction, joliment écrite, qui donne de l’espoir dans le film à venir) et un regain d’inspiration au moment de prononcer son discours (ironisant sur l’emprise de ses conseillers en communication, il envoie valser ses notes, parle en enfant du peuple, faisant mine en cela de s’émanciper d’un storytelling dont en fait il décuple l’efficacité). Lancé plus tard sur la trace de la fille, Damon tombe sur un os. Une équipée de professionnels à chapeaux lui barre la route, révélant que, de hasard et de coïncidences, il n’y a point. Tout, en fait, obéit à un plan, à la nécessité supérieure d’un destin dont les types à chapeaux sont les petites mains agiles et qui, dans le cas de Damon, doit le propulser à la Maison Blanche mais exclut la romance avec la belle inconnue des toilettes.
Pitch amusant et canevas connu, celui de la totalité comme complot, promesse de voyage paranoïaque sous la surface des choses, là où dans l’ombre, on tire les ficelles. Quoi de neuf ici ? Un usage moins universel (malgré le clairon métaphysique de la tagline : « Sommes-nous maîtres de notre destin ? ») que strictement américain. Soit le remake catéchistique de Matrix, prenant des détours hi-tech pour rappeler de qui le patron de la Maison Blanche est censé tirer sa légitimité – le film ne fait pas mystère longtemps de l’identité du grand architecte qui veille sur le « plan ». Habile manière de réconcilier deux pôles apparemment contradictoires de l’idéologie américaine : éloge du libre-arbitre d’un côté, destinée impérieuse d’une « Nation Under God », de l’autre. Le film trouve le gros de son action dans cette (fausse) lutte, quand Matt Damon essaie de passer entre les mailles de la grande toile tendue par l’ « agence », court à toutes jambes dans New York où à chaque coin de rue guettent les types à chapeaux. Et c’est un peu un problème parce que, à cet exercice, L’Agence n’est pas vraiment fortiche.
C’est un problème de croyance tout simple : pour s’amuser à pareil scénario (dans une hyper société de contrôle, un maillon de la chaine résiste et finit par gripper la machine), il faut être en mesure de croire absolument dans la toute-puissance de la machinerie tyrannique, autant que dans l’ingéniosité du fugitif. Difficile ici tant le scénario semble condamné à reconsidérer perpétuellement l’un et l’autre en fonction de ses besoins (les agents à chapeaux sont omniscients mais se font griller connement à la course à pied), à la limite de l’improvisation et au gré de trouvailles assez cheap repêchées d’un vieux Zelda – chapeaux magiques, pluie qui brouille les radars divins, portes qui, hop, font traverser la ville en un claquement de doigt. Privé de cette efficacité indispensable, L’Agence rate son coup, et même ennuie un peu une fois passée la première moitié. Reste que le film, à l’inverse d’Inception, se traverse sans menace de migraine ni véritable déplaisir, et qu’il a le mérite de ce scoop, révélé l’air de rien : Dieu, comme Hollywood, vote démocrate.