A la fin des années 30, un enfant est reconnu comme étant la 14e réincarnation du Bouddha de la compassion et en tant que tel devient le chef de son pays, le Tibet. Il s’agit de l’actuel Dalaï Lama, qui, après une longue éducation spirituelle, devra faire face à l’invasion chinoise avant d’être poussé à l’exil.
Considéré comme l’un des plus grands réalisateurs américains actuels, Martin Scorcese avait surpris il y a deux ans en annonçant son projet d’adapter la vie du Dalaï Lama à l’écran. Si le réalisateur s’était déjà éloigné de son univers de prédilection (profondément urbain) avec plus ou moins de succès (La dernière tentation du Christ, Le temps de l’innocence), ces incartades conservaient toujours un point commun avec sa thématique. Or, il est difficile de voir dans l’existence du chef spirituel bouddhiste des liens directs avec les obsessions de l’auteur de Mean Streets. Il y a bien sûr la trajectoire d’un personnage dans un milieu clos, mais le contexte géographique, politique et surtout spirituel du récit est aux antipodes de l’univers du réalisateur américain. On pouvait dès lors penser que Scorcese avait succombé à la mode de la religion orientale qui fait rage en ce moment à Hollywood (Little Boudha, Sept ans au Tibet).
Mais la vérité est tout autre, comme le prouve la déclaration de la scénariste Melissa Mathison : « Marty était habité depuis plusieurs années par certaines images du Tibet qu’il a retrouvées dans ce scénario et qu’il a souhaitées faire vivre ». Ainsi le film est né non pas de l’intérêt que pouvait susciter la cause tibétaine aux yeux du réalisateur, mais bien des visions que celle-ci lui inspirait. De fait, l’esthétique du film est très impressionnante, le travail effectué tant sur l’image que sur la mise en scène est admirable, et la musique de Phillip Glass, qui souligne l’ensemble, est parmi les plus originales que l’on ait pu entendre depuis longtemps. Décors et costumes sont magnifiques et recréés à partir des archives de la communauté tibétaine. Dans le même esprit, tous les interprètes sont de véritables Tibétains.
De ce point de vue, Kundun est sans aucun doute le meilleur film traitant du bouddhisme à ce jour. Et c’est peut-être là que se trouve son principal défaut. Depuis quelques années, le problème du Tibet est devenu très à la mode. Désormais le monde occidental a conscience de la situation du peuple tibétain et se mobilise partiellement. Kundun attaque de front les origines du problème, en cela il a une dimension didactique appréciable, mais dans le même temps, il prend explicitement position en faveur du Tibet. On ne peut pas ne pas soutenir une telle position et c’est justement le reproche que l’on peut lui faire quand celle-ci est exposée au grand jour dans un film. Le manque de distance pris par Scorcese fait de son film une œuvre de quasi propagande, servant peut-être une cause juste, mais prenant position là où il n’aurait fallu qu’exposer les faits ; mais pouvait-il en être autrement aux vues du sujet ? Kundun se veut donc une véritable arme mobilisatrice pour la cause du Tibet et c’est cet aspect du film qui dérange. De plus, le soutien officiel du Dalaï Lama au film en fait une œuvre plus humanitaire qu’artistique. Heureusement, l’aspect visuel a de quoi faire oublier partiellement le poids du message sans pour autant le faire disparaître.