Avec son impayable introduction de sitcom, ce nouveau film d’Eli Roth se lance plutôt sur de bons rails : maman et les gosses partis en week-end, Keanu Reeves se retrouve seul chez lui à bosser sur son Mac, lorsque deux créatures de rêve viennent frapper à la porte de sa villa californienne. Il fait nuit, il pleut, elles sont perdues : que faire sinon les laisser entrer ? Le plateau et les joueurs installés, reste à faire monter la mayonnaise. Et il faut d’abord reconnaître à Roth et ses deux actrices un certain allant pour faire tourner en bourrique l’ancienne icône de Point Break : une blonde, une brune, aguicheuses et appétissantes, face auxquelles l’acteur opposera la plus raisonnable résistance avant de totalement succomber — rejouant délibérément un passage culte du Dracula de Coppola, dans lequel il se faisait déjà vampiriser contre son gré par des succubes.
Dommage pour lui, les deux nymphettes n’en resteront pas là, et se livreront le lendemain à tout un jeu de massacre et d’humiliation, où les schémas habituels se renverseront (ici, c’est la femme qui maltraite) et où l’idéal domestique en prendra pour son grade (chaque pièce du foyer familial est détournée en petite galerie trash). L’occasion pour Reeves (abominable) de parfaire son statut de star à l’agonie, et pour Roth de se permettre à peu près tout et n’importe quoi. Car le problème est qu’on ne sait jamais trop où le réalisateur et son duo de vengeresses veulent en venir dans ce Funny Games féminoïde — sinon prouver aux hommes que, malgré les apparences d’une vie de famille parfaitement rangée, ils sont bel et bien tous des porcs. Voilà plusieurs films que Roth ne démord pas de ce programme moraliste et maigrelet : des mâles médiocres, prisonniers du libido qui les amènera immanquablement à se faire trucider.
Or Reeves — contrairement aux backpackers demeurés d’Hostel— n’avait franchement rien demandé. Le film resserre sur lui un étau adultérin inexorable, qui semble surtout prétexte à une satire misandre et un exercice de dézingage domestique. Les puissances érotiques et horrifiques du genre s’en trouvent réduites à leurs avatars les plus rudimentaires : le sexe y est un piège gros comme une maison, dans lequel l’homme n’a d’autre choix que de se jeter tête la première. Au fond, la singularité de Roth s’est toujours limitée à faire miroiter à son spectateur les atours racoleurs d’un torture porn, pour mieux lui refourguer une farce sardonique sur le contemporain.
Cet art de l’entourloupe, tout entier voué à l’acharnement punitif, pourrait faire de ce protégé de Tarantino une sorte d’ersatz attardé de Michael Haneke, à ceci près que Roth se révèle bien trop jouisseur pour ne pas se laisser lui-même dépasser par ses penchants régressifs. Knock Knock trouve ainsi dans son abrutissement généralisé une sorte de mini état de grâce, quand la mise en scène se retrouve incapable d’arbitrer sa petite récréation érotico-macabre, et finit par abandonner — dans une inénarrable conclusion goguenarde — les bourreaux à leurs revendications inaudibles et la victime à son indécrottable platitude. Pas de quoi ressusciter un genre horrifique sous respiration artificielle depuis vingt ans, juste assez pour se rappeler qu’il vit encore.