Dans les postures des gueules muettes, la sociologie de bas étage, le design formica-chromatique années 50, Kitchen stories transpire le typique par tous les orifices. Puis s’évapore aussi instantanément qu’une pub Stimrol. Ne restent alors que les constituants maigrichons de ce film-concept : un script décharné et faiblard, un point de vue (mal tenu) de filmer le comique, un modèle asphyxiant de reconstitution, un message simpliste (l’absurdité des statistiques) démontré mécaniquement par un argument d’une banalité confondante (l’Humain l’emporte toujours). Pourtant Kitchen stories laisse une trace. Celle, écoeurante, du pédantisme absolu de son auteur, qui tisse puis effiloche systématiquement chaque piste du film, pour le vider d’une quelconque cohérence, mais pour sauver -laborieusement- les apparences.
L’histoire : deux types contraints de s’observer. L’un est paysan (donc un gros dégueulasse alcoolo têtu et sournois) acceptant moyennant finances d’accueillir l’autre dans sa cuisine. Rat des villes coincé, le deuxième larron est embauché par un gourou du rationalisme économique qui ouvre une grande enquête scientifique sur l’ensemble d’un village norvégien. Objectif : concevoir une cuisine optimum pour célibataires endurcis dont on aura cerné les moindres vas et viens. Incapable de tenir ce postulat à la Playtime, Hamer se résigne à schématiser Tati. Où plutôt à le rendre définitivement publicitaire : cadrage millimétré, design après-guerre (chapeau mou, bagnole chromée), succession de saynètes, atmosphère ouatée et pince sans rire scandinave, l’inventaire est complet. On sent l’immense satisfaction du metteur en scène à croquer le moindre détail, avec une précision qui révèle davantage son goût pour la grossière apparence condescendante (les chaussettes de laine de l’observateur coincé, les coutumes crados du paysan) qu’une véritable rigueur filmique.
Puis Hamer s’essouffle. En quelques plans, quelques scènes, son travail de singerie cinématographique trouve naturellement ses limites. Alors advient un bouleversement narratif qui révèle à la fois l’échec du cinéaste (rendre les armes de l’absurde là où Tati continue avec une insolente facilitée) et son incroyable mauvaise foi. Comme si Hamer avait toujours considéré son postulat au sérieux (un type juché sur une chaise d’arbitre de tennis schématisant les aller-retour d’un bouseux dans sa cuisine), il joue, mauvais perdant, la carte du réalisme. D’une réclame boursouflée, le film glisse alors dans une logique pure et parfaite, à l’image des méthodes radicales scientifiques moquées au début. Les deux vieux garçons brisent la règle du silence, deviennent amis, les théologiens du rationalisme économique sont tous à moitié tarés. Incapable d’effacer l’ennui mortel de son spectateur qui surgit alors, Hamer préfère l’ignorer et s’enferme à son tour dans son film, se gargarisant de son rôle d’observateur méticuleux et de conteur didactique. Il s’extasie sur les décors enneigés, les tronches à la Prévert des Fjords, la poésie de supermarché, se pose en grand capteur paternaliste de la justesse, alors que sa mise en scène ne reprend que les principes sur-simplistes qu’il dénonçait si lourdement au début. Conclusion : les clichés en toutes sortes (sociologiques, cinématographiques) pris pour ce qu’ils sont restent des clichés. Merci pour l’info Bent Hamer.