Kill list : titre limpide, on visualise aussitôt l’agencement en chapitres, avec à chaque section une balle et un mort. Or, surprise, si liste tueuse il y aura en effet, la toute première des listes du film n’est autre qu’une liste de courses. Tout commence par une scène de ménage entre Jay, ancien soldat, et sa femme Shen, sur l’état des comptes, l’avenir du foyer, les dépenses inutiles – et sur cette liste de courses, donc, pas vraiment respectée par Jay, parti acheter l’essentiel et revenu avec le superflu, c’est-à-dire un lot de bouteilles et une Excalibur en plastique pour leur fils. Un beau jour, Gal, un vieil ami, lui propose de devenir tueur à gages. Jay ne tarde pas à accepter, et donne assez vite libre cours à ses pulsions meurtrières. Il reçoit dans le même temps des menaces à teneur plus ou moins ésotériques (animaux crevés, fétiches, signes occultes divers). Le tout se poursuivra dans une horreur en grande partie inspirée de The Wicker man de Robin Hardy, autrement dit une horreur obscurantiste, sacrificielle et carnavalesque – mais on va le voir, comme tenue à distance par le regard du fan expert.
Entre les deux listes, donc, le drame social sera devenu polar sanglant, et puis cauchemar satanique. Cette espèce de grossissement progressif, monstrueux, d’un tout petit détail de la vie en temps de crise en déchaînement gore et folie paranoïaque (autrement dit une très modeste liste de commissions transformée en kill list hardcore, avec tonnes de billets à la clé) avait sur le papier de quoi exciter l’enthousiasme. A première vue, le film semble en effet plutôt réussi dans sa manière de faire cohabiter les genres. Comme si l’oeil de Ken Loach et celui d’Eli Roth se mettaient d’un coup à bouger en rythme, pour une association diabolique. Deux exemples : les seuls moments de douceur de la petite famille, filmés par Ben Wheatley comme de simples variations de sa cruauté (cf. le début de Shining), le père joutant avec son fils à coups d’épée en plastique, le tout dans un ralenti à la Peckinpah. Voir également la manière dont l’intrigue ésotérique trouve à s’intégrer dans le réalisme social : assez belle scène à la fois pragmatique et poétique, où Jay, trouvant un lapin mort devant chez lui, décide de le cuisiner et de le manger, tout simplement parce qu’il a faim.
Mais ces qualités témoignent aussi, finalement, de ce qu’à aucun moment Ben Wheatley ne saisit à bras le corps cette question du genre, semblant surtout s’intéresser à l’égarement psychique de son personnage, entre rêve et réalité. Jamais vraiment polar, jamais vraiment drame, jamais vraiment film d’horreur, le film traverse les genres en touriste, c’est-à-dire en geek cinéphile, il patine dans d’interminables effets d’annonces et prises d’élan. Si la séquence finale intrigue un moment par son nihilisme (la kill list s’élargissant à l’Angleterre entière, l’Angleterre immémoriale, désignée à travers ses rituels archaïques tels que les décrivait Wicker man), l’intensité horrifique y est en grande partie sacrifiée à la folie de Jay, à sa seule pulsion de tuer : les victimes ne deviennent plus que figures réduites à l’abstraction – et simplement suppressibles au M16 comme dans n’importe quel jeu vidéo. Après La Cabane dans les bois, pour ne citer que lui, il semble décidément difficile aujourd’hui, dans le cinéma d’horreur, de suivre une ligne simple et de s’y tenir, sans éprouver le besoin d’en passer par l’élucubration conceptuelle.