Images de Lituanie : solitudes, guerre, suicides, exclusions, neige, alcoolisme, chômage, misère totale. Images de cinéma : abstraction hivernale, figuration prostrée dans le malheur, raccords malades de ne pouvoir assurer le moindre lien. Comment l’art peut-il témoigner d’un pays en détresse ? En faisant appel d’air, en proposant une issue de secours, ou, au pire, une alternative en guise d’échappatoire. L’œuvre de Sharunas Bartas -duquel l’on est immédiatement tenté de rapprocher Navasaitis- trouve justement toute sa force dans sa manière de transcender le réel sans jamais le trahir. Dans Few of us ou Corridor, la recherche plastique n’est pas une mince affaire ; elle relève d’un regard, d’un désir poétique ou bien d’une volonté de sublimer l’acteur-modèle.
Frère de cinéma de Bartas (ils ont réalisé ensemble un court métrage), Valdas Navasaitis préfère quant à lui filmer en vase clos. Malgré des velléités narratives plus évidentes que chez son compatriote (Kiemas suit l’évolution de personnages habitant tous la même maison), le cinéaste ne fait intervenir la fiction que pour appesantir davantage l’ambiance dépressive, forger la désolation en système unique de pensée. Si des rapports se créent entre les êtres, ils sont d’emblée désignés comme funestes : querelles familiales, coït glauque, vagues dialogues autour d’un verre d’alcool. Et lorsqu’un geste d’espoir est suggéré, il ne fonctionne qu’en tant que leurre. Ainsi, le jeune héros du film donne de l’argent à un vieillard avant de se pendre quelques plans plus tard. Il s’avère donc impossible pour le spectateur de pénétrer un tant soit peu cet univers tellement noir qu’il en paraît presque irréel, coupé du monde et de toute forme de communication avec l’extérieur. En ne donnant une chance de renouveau à aucune de ses créatures, Navasaitis nous laisse quitter la salle avec cette hypothèse effrayante : son peuple a renoncé à lutter parce qu’il est déjà mort.