Si le passage au long métrage de Sam Karmann (réalisateur du court oscarisé L’Omnibus) ne révèle pas un cinéaste novateur, il chamboule néanmoins de manière assez pertinente quelques idées reçues. Transposition au cinéma du roman de Jean-Paul Dubois, l’histoire s’assimile à la chronique de la dépression qui gagne Simon Polaris, écrivain à l’aube de la cinquantaine. Comme tout l’emmerde, sa famille comme son boulot, l’activité de Simon se résume à essayer d’attraper les mouches qui volent autour de lui et à tenir compagnie à un vieil autiste, jusqu’au jour où il se focalise sur la montre de son psychanalyste, celle-là même que portait Kennedy lors de son assassinat.
Ce qui réjouit d’emblée dans Kennedy et moi, c’est la franchise et l’audace du propos. A mille lieues du politiquement correct, le film de Karmann retranscrit fidèlement le point de vue d’un misanthrope (impeccablement incarné par un Jean-Pierre Bacri dans son registre de prédilection). Mais qu’est-ce qui empêche Simon l’aigri d’être un vieux con et justifie qu’on s’y intéresse ? Tout simplement l’humour (franchement noir) et son regard cynique sur nos petits tracas quotidiens. Le film accompagne la vision acerbe de Simon jusqu’à la démesure (voir le mauvais tour qu’il joue à son beau-fils en se jetant à l’eau en pleine cérémonie commémorative de la noyade du père de ce dernier). Mine de rien, le film pose aussi certaines questions fondamentales que le bon sens général préfère parfois ignorer. Faire des enfants et s’apercevoir qu’adultes ils nous sont devenus étrangers sont quelques-uns des troublants constats assenés par le film. Kennedy et moi évite aussi avec bonheur les clichés, notamment par le renversement d’un archétype du cinéma contemporain, la révolte adolescente, incarnée ici par des parents plus anticonformistes que leur progéniture. La mise en scène sobre de Sam Karmann nous épargne les pires débordements esthétiques scabreux sur le sujet de la dépression, mais révèle cependant une certaine tendance à la passivité. En collant bout à bout des situations, Karmann se contente d’illustrer son histoire sans oser adopter un parti pris formel de réalisation. Les personnages secondaires subissent alors quelque peu cette neutralité stylistique et sont souvent confinés au rang de faire-valoir des états d’âme du héros.
Un peu plus d’audace formelle aurait permis à Kennedy et moi de se hisser au rang des premiers films réussis.