Il y a dans le premier film de Thomas Vincent une belle énergie, mot fourre-tout à première vue, mais qui caractérise pourtant bien ce Karnaval prometteur. De l’énergie, il en fallait pour raconter et suivre le parcours de ce triangle amoureux (deux hommes, une femme) dans l’ambiance exubérante qui semble caractériser le carnaval de Dunkerque.
L’originalité du film réside justement dans cette manière particulière de dérouler le récit contre (tout contre) le scénario « carnavalesque » (les défilés, le bal, les chants) et de nouer le drame dans les respirations -les temps morts et les temps forts– de la fête. Ainsi, tandis que Larbi, jeune beur tombé sous le charme de Béa, essaie de la convaincre de le suivre à Marseille où il fait soleil, que Christian, le mari veilleur de nuit et jaloux de Béa, donne une leçon (frisant parfois le racisme ordinaire) à Larbi, et que Béa s’accorde le droit à l’hésitation, le carnaval suit inexorablement, et quoi qu’il arrive, son cours, parfois dans la direction et parfois à contre-courant du drame qui se noue. Pourtant, et même s’il est constamment dans le champ, Thomas Vincent ne s’est pas laissé emporter par l’énergie cinétique du carnaval. Jamais il n’abandonne ses personnages. Bien au contraire, sa caméra très mobile ne les lâche pas d’une semelle. Au plus près des tensions, « le regard de l’objectif » en permanence rivé sur eux, Thomas Vincent leur offre une chance de se montrer sous plusieurs figures. Au cours de la nuit, Christian se révèle moins xénophobe, Béa plus attachée à son mari, et Larbi plus curieux de la tradition du carnaval qu’il n’y paraissait au début.
Ainsi, le drame qui semblait se jouer entre les trois nous réserve quelques imprévus. Karnaval, ce n’est pas un mal, prend le contre-pied du premier film de Bruno Dumont, La Vie de Jésus, qui imposait une vision fataliste du monde : le personnage principal, plombé par son inertie, n’avait aucune marge de manœuvre et aucune évolution possible, tandis que le meurtre du jeune beur était quasiment joué d’avance. L’humanisme de Thomas Vincent (la fraîcheur de ses personnages contre la torpeur de ceux de Dumont, le carnaval contre la petite fanfare du village, le point de vue de Larbi contre le point de vue du jeune raciste dans La Vie de Jésus) a quelque chose de réjouissant.