Un Loach-film arrive, et un même discours schématique est requis : le cru de l’année en deçà ou au-delà de sa limite naturelle ? Excède-t-il ou au contraire se maintient-il dans l’enclos du système Loach ? Autrement dit, de quel côté de la ligne de partage entre un mauvais Loach et un pas mauvais Loach est-il situé ? Cette ligne de partage, on l’a identifiée depuis longtemps, elle est claire chez le réalisateur de Ladybird, plus ou moins enfouie dans une bonne part du cinéma « social » à la crème anglaise. Dans tous les récits loachiens, qui sont au fond toujours les mêmes (les récits d’une injustice protéiforme, gangrène de toutes les sociétés), elle sépare les films abandonnés aux facilités d’un genre dont Loach fut parfois le triste champion -de l’engagement politique à faire frémir les lectrices de Madame Figaro : portes ouvertes laborieusement enfoncées, démonstrations par l’exemple, privilège du cas édifiant, bonne conscience de gauche qui sacrifie à la fable la complexité du monde- et les autres où le cinéma entre comme un voleur pour dérober au petits plats mitonnés du cuistot de la révolte du dimanche le feu du mystère et de la beauté (on n’oubliera jamais Poor cow, qui demeure sans doute le plus beau film de Loach).
Un beau gosse Dj pakistanais et jolie prof de musique catholique Irlandaise s’aiment d’amour tendre et déclenchent les réflexes de repli les plus obscurs de leurs communautés respectives. Il doit être marié coûte que coûte avec une cousine du pays qu’il n’a jamais vue ; elle subit les remontrances du clergé locale qui la soupçonne de coucher avec des « Mohammed » de passage. Face à cette love story un peu vaine, puisqu’elle entend démontrer seulement que l’amour est plus fort que tout et que le repli communautaire ne cède pas un pouce de terrain, les réticences sont faciles à cerner : le roméojuliettisme sans surprise, le fond Benetton qu’une telle rencontre ne manque pas de réveiller, la succession de passages obligés du genre. Mais le gros point de force aussi : Loach délaisse le corps social pour mieux saisir, non sans douceur, le déplacement des conflits globaux sur la propre peau de ses personnages. Evidemment, on est à mille années-lumière de Tous les autres s’appellent Ali, mais resserré sur l’intimité d’un couple naissant, Just a kiss se laisse aimer finalement, pile en équilibre sur la ligne de partage entre conte grossier et romance incandescente.