Pas facile, de prime abord, d’attribuer une note à un film pareil. Mettons 1 par commodité, et puisqu’il faut bien mettre quelque chose. Car ce film ne doit son existence dans les salles qu’à un « coup » réalisé par le distributeur, qui pourra désormais se targuer d’être le premier à avoir exploiter commercialement un film nord-coréen à l’étranger. Jolie performance, certes. Mais le film, il vaut quoi ? S’il n’était pas paré de sa nationalité, ce journal d’une nord-coréenne ne serait sans doute jamais parvenu jusqu’à nous. Son visa marqué par le tampon d’Ubuland, équivaut à un sceau de bizarrerie, et donc de curiosité. La curiosité n’est pas un vilain défaut, bien au contraire. Néanmoins, elle a le désavantage d’être facile à acheter. Aiguillé par elle, nous avons vu ce film, qui a pour avantage – puisqu’il s’agit d’un film d’aujourd’hui – de renouer avec un genre dont les ruses de l’histoire nous ont privés : le film de propagande maousse, avec scénario et montage supervisé par le chef de l’état, en l’occurrence Kim Jong-il, babyface killer et psychopathe avéré qui tient sous sa botte ses 24 millions de compatriotes. Le régime de Kim assure que le tiers d’entre eux serait aller voir le film de Jang In-hak, soit 8 millions de spectateurs, pareil qu’Amélie Poulain en France. Vous n’y croyez pas ?
Et si on vous dit que le film s’ouvre par un plan sur le cartable d’une écolière arborant la bouille de Mickey Mouse, vous y croyez ? Non plus ? Pourtant, cette fois-ci, c’est vrai, promis : ainsi débute le Journal d’une jeune Nord-coréenne, qui narre la vie d’une adolescente, Su-Ryeon. Vivant en famille dans un pavillon, elle rêve d’habiter, un jour, dans un vrai appartement. Se désole, aussi, de ce que son père soit si absent à cause de son travail. Se révolte presque, tellement c’est pas juste. Comprendra-t-elle, cette tête de mule, que son père, via ses activités, se dévoue pour la glorieuse patrie et le grand Kim Jong-il (notre guide à tous dont la puissance éclipse les rayons du soleil) ? Qu’il fait avancer la science socialiste pendant que ses atermoiements, à elle, n’apportent rien collectivement ? Ben oui, elle va finir par le comprendre et entamer illico presto des études de science.
On passera vite sur l’ennui généré par cette histoire où l’enjeu ne consiste qu’à repérer l’énormité du message. On passera vite sur la mise en scène brinquebalante de tout ça, qui culmine lors d’un travelling mythique où le cadreur semble littéralement se prendre les pieds dans le tapis. Arrivons vers la fin, le clou, juste avant le générique (qui vaut le coup d’oeil) : Su-Ryeon finit, bien sûr, par se voir attribuer un appartement, comme elle en rêvait, et là, nappé d’une musique pleine de fleurs, partant de ses yeux embués de larmes, et de son coeur qui remercie le sublime Kim Jong-il (que sa suprême intelligence illumine notre ciel sur 300 générations), il y a un zoom terrible sur une barre de HLM grise, sinistre, déprimante. Un beau conte de Noël, en somme, que cette fabulette stalinienne. Bon évidemment, difficile de résister devant le dévoilement du béton de cité dortoir comme incarnation ultime du bonheur de la société sans classes, révélation qui dit malgré tout (pas une once d’ironie ici) le triste état de ce pays dirigé par un tyran nihiliste et dégénéré (superviseur du scénario et du montage, on le rappelle). Le film, de fait, évoque certains problèmes, pose des questions, fait frictionner à l’échelle microscopique des oppositions. Mais ne racontons pas d’histoires, ne fantasmons pas, ça n’est pas autre chose qu’un film de propagande, grégaire, bête et discipliné. Comme rien ne ressemble plus à un film de propagande qu’un autre film de propagande, l’intérêt de ce Journal se limite effectivement à sa nationalité et à ces quelques gags typiques du réalisme socialiste – autant dire qu’il est très limité.