Pour Wang Chao, Jour et nuit est un peu le film de la maturité avant la lettre. Un tour de force aussi sûrement maîtrisé qu’absolument non rock’n roll. Un seul film à son actif (L’Orphelin d’Anyang, petit phénomène d’il y a quatre ans), et déjà le style du cinéaste chinois trouvait sa plénitude. Plans glacés, construction au carré, épure fine et sentie, pas de doute, il assure Wang Chao, comme un vieux maître, mais sans la rage ni la soif d’expérimentation d’un jeune outsider. Car s’il défriche des décors vierges de représentation, le réalisateur chinois n’a pourtant rien d’un cinéaste borderline. Sa matière première, une Chine profonde, rude et continentale, est finalement l’exacte opposée du cinéma de Jia Zangke, lui aussi chroniqueur provincial, mais apôtre de la modernité, filmeur des rêveries, de l’ennui et des mutations imperceptibles. Jour et nuit n’est rien moins qu’un enracinement profond vers toujours plus de rigueur filmique et d’aridité.
Dès l’ouverture, formidable panoramique d’une steppe de Mongolie, on voit ce qui anime le cinéaste : faire du figuratif un traité de cinéma, fondre les symboles de la fable dans un classicisme quasi-protestant. C’est là le fameux tour de force du film qui incruste la pellicule, saisit l’abrupt, le minéral, sans se gargariser une minute de suspension du temps ou d’esthétisme fastoche. Pourtant, le sujet aurait pu s’y prêter : à la fois chronique et fable fantastique, on suit les déboires d’un mineur meurtri par la culpabilité après la mort de son maître lors d’un coup de grisou. Impuissant en amour (sa maîtresse est également la veuve du mentor), mais tout puissant dans le travail (le parti lui cède la mine qu’il fait tourner), il poursuit son initiation au gré des bouleversements économiques, de l’auberge du village et des apparitions fantomatiques du vieux sage.
Se décante le plus naturellement du monde une fresque discrète de la Chine contemporaine, encore partagée entre respect des traditions, libéralisme salvateur, sexualité débordante et déprime latente. Plus Wang Chao se nourrit de pathos et plus le drame minier prend une dimension universelle, tendant parfois à l’abstraction pure. Parfois seulement, tant le film se trouve trop souvent coincé par l’effet pervers du classicisme. La faute à un manque de souplesse du scénario qui amollit indéniablement le film, ramené à son côté cyclique le plus planplan (le fantôme, les années). Plus préoccupant pour l’avenir, cette sclérose latente semble parfaitement convenir à Wang Chao, visiblement trop psychorigide pour atteindre pleinement la sagesse des grands maîtres.