Chouette : vingt ans après une chevauchée afghane de sinistre mémoire, le hobo au couteau reprend donc les armes, les yeux plein de cellulite, pour éventrer la moitié du contingent birman. Entre autres résurrections d’effigies 80’s, tours d’honneurs et jubilés dégénérés en forme de vide-grenier Mad Movies (Rocky et Die hard, Indiana Jones), ce retour aux affaires de Rambo fait événement. Plusieurs raisons à cela. D’abord la vision ahurie du teaser qui, l’an dernier, annonçait la boucherie sans nom qui se joue ici, à situer quelque part entre Peckinpah et Cuisine TV. Mais pas seulement. L’essentiel est que cet avant-goût monstrueux nous cueillait à la sortie de Rocky Balboa, film mineur, certes, mais assez bouleversant. Bouleversant pour la façon qu’avait Stallone d’y tracer, à contre courant de l’opération de marketing vintage, un projet plus intime, sorte de pèlerinage dans les décombres d’un imaginaire tombé en mythologie un peu malgré lui. C’est la continuation de cette démarche-là qu’on attendait, et c’est bien ce à quoi s’emploie le film. Rocky Balboa, aujourd’hui John Rambo : les titres sont limpides, coiffant l’épilogue par une épitaphe. Et s’il y a événement, ici plus encore qu’avec Rocky Balboa, c’est que la franchise Rambo, ouverte et refermée au diapason du double mandat de Reagan, semblait ne jamais devoir s’extirper de ces 80’s bourrines et infamantes dont il fut un parangon, à son corps défendant d’Übermensch pataud.
C’est pourtant bien le projet qui est à l’oeuvre ici, et, en cela, le film est admirablement réussi, qui remonte, solitaire et autiste, le cours d’un désir de cinéma pour en retrouver la scène primitive. Reprendre les choses là où les avaient laissées les années Reagan, ça veut dire deux choses pour Stallone. D’une part, se colleter au contemporain. Donc : corriger le tir. C’est le côté post-11/09, maladroit mais touchant, du film : le réalisme craspec, gorissime, en forme de mea culpa pour dire que non, la guerre, c’est pas de l’entertainment. Là, franchement, Stallone se prend un peu les pieds dans le tapis. Le film a ses moments du côté de l’action pure, il est assez efficace, et Stallone n’est pas complètement empoté en matière de rythme et de découpage. Mais la candeur pachydermique, qui, par ailleurs, fait depuis 30 ans la beauté de son personnage (de Rocky en Copland, de Rambo en Cliffhanger) leste inévitablement la mise en scène : Stallone veut bien faire, mais fait avec les moyens du bord, avec l’héritage 80’s collé au rangers comme un vieux chewing gum (les punchlines clownesques qui viennent moucheter l’ambition de noirceur très 70’s). Mais qu’importe après tout, parce que le film, du coup, a au moins ce mérite, qui en vaut bien d’autres : celui d’être complètement aberrant, mutant, trop dégénéré pour être ramené à quoi que ce soit de connu.
D’autre part, il y a un autre versant à la démarche qui, lui, est assez passionnant. Pour solder le compte des années Reagan, donc, non plus aller de l’avant mais prendre le trajet à rebours, retrouver le centre là où l’époque n’avait retenu que la périphérie. Comme dans Rocky Balboa, en somme : revenir au personnage et à lui seul, le débarrasser du sédiment pour en retrouver la forme brute. Soit, pour Rambo, embarqué malgré lui comme agent de la pax americana (la rencontre avec Massoud dans Rambo III, on en rit encore), retrouver la dimension tragique et minérale, renouer avec la forme primitive et monstrueuse de First blood en en révélant tout le potentiel. Le miracle ici, est le même que dans Rocky Balboa : que toute l’efficacité d’un corps de cinéma qui fut un emblème de l’action movie se révèle, comme jamais, au moment précis où ce corps-là est sur le déclin. Que la forme boursouflée, éléphantesque et rougeaude qui se dépense derrière la mitraillette fasse remonter, en geyser, le double fond d’affliction et de sauvagerie qui dormait depuis le début dans la franchise. On a bien le droit d’en rire, mais quand même, ce n’est pas rien : pour déterrer, intacte, cette belle matière, il aura fallu à Stallone remonter la pente raide de sa propre mythologie, soit près de trente ans de cinéma américain.