Coscénariste de l’éblouissant Ouvre les yeux (1997) d’Alejandro Amenabar, Mateo Gil, pour son premier film, ne cherche aucunement à se démarquer de l’œuvre de son ami : même acteur (Eduardo Noriega), même genre (le thriller), mêmes thématiques (jeu sur les apparences, confusion entre réalité et fiction). Mais si Jeu de rôles vient après Tesis (1996) et Ouvre les yeux, Mateo Gil n’a rien d’un suiveur qui se contente du rôle ingrat de l’éternel second. Il arpente simplement avec Amenabar, en toute égalité, un seul et même territoire.
A Séville, divers attentats prennent pour cible les manifestations religieuses de la semaine sainte. Simon (Eduardo Noriega), un écrivain en panne d’inspiration, s’y trouve involontairement mêlé. Il finit par comprendre qu’il a été « sélectionné » pour participer à un jeu de rôles (non, cher lecteur, je ne dévoile pas l’intrigue, la stupide traduction française du titre s’en est chargée à ma place). Le film s’ouvre par de longs et fluides plans aériens, la caméra appréhende la ville à la fois comme un plateau de cinéma grandeur nature et un terrain d’action pour les participants au jeu de rôles. En confrontant le futurisme de l’architecture de l’exposition universelle au baroque des saints catholiques, M. Gil arrive à créer une étrange atmosphère, à la limite du fantastique, cadre idéal pour son thriller. Entre la ferveur religieuse des processions et la folie des joueurs, toute la ville semble en proie à une démence, une hystérie collective. Le cinéaste ne cherche pas la subtilité, il accumule les symboles, use et abuse de l’imagerie religieuse. Mais peu importe. Car au-delà de l’évidence, d’une intrigue parfois trop visible, il parvient à nous fasciner. Avec ce premier film étonnamment maîtrisé, Mateo Gil prouve qu’il n’est pas nécessaire de tuer le frère, et qu’on peut faire du cinéma avec, mais aussi sans lui.