On pourrait ranger les films de Fassbinder dans trois catégories. D’abord : la petite poignée de chefs-d’oeuvre incontestables, L’Année des treize lunes en tête, dans lequel le grotesque et la désinvolture n’empêchaient pas le sublime. A l’autre extrémité, pas mal de films vieillis, parfois pénibles, rappelant qu’il existait aussi chez le cinéaste une nette tendance à la théâtralisation (Les Larmes amères de Petra von Kant), et aussi à la pose (Le Secret de Veronika Voss). Et puis, au milieu, toute une série de films stimulants et bâclés, apparemment réalisés sous le coup d’une envie, d’une idée, s’aventurant selon les cas du côté du polar, du mélo, brassant des influences diverses (Sirk, Godard) sans jamais s’y arrêter. Un peu court parfois, une idée ne faisant pas un film, mais d’une vigueur assez incomparable.
Je veux seulement que vous m’aimiez relève très nettement de cette dernière catégorie. Et s’avère, contre toute attente, l’un de ses plus marquants. Tout annonçait pourtant, sur le papier, un film « carré », taillé à la hache, témoignant qui plus est d’un déterminisme légèrement caricatural. Peter et Erika forment un ménage ouvrier qui s’effondre pour avoir cru possible une vie de classe moyenne : des crédits qui s’accumulent, un bébé qui vient un peu trop vite et un salaire en moins, et voilà la spirale qui s’enclenche et mène au drame. Cependant, il y a toujours chez le cinéaste des éléments plus retords. Déterministe ? Pas entièrement : le voilà qui pointe sans tendresse la part des malchances et de quelques décisions nullement nécessaires. Chez Fassbinder, la société est coupable, mais les individus sont parfois bêtes. Peter est un brave type, travailleur, pas une lumière, que son père, bel homme d’affaires, traite avec une condescendance cruelle. Il y a là une manière assez incomparable de peindre des personnages à grands traits, sans s’encombrer de psychologie (rien n’est jamais très fouillé), mais en parvenant à en faire ressortir l’essentiel.
S’il est une influence à l’œuvre chez Fassbinder – influence souterraine, mais déterminante, sous les oripeaux underground, c’est bien celle de Rohmer. On ne dira jamais assez combien L’Amour l’après-midi est important pour comprendre ces années-là. Avec Rozier peut-être, le cinéaste découvre alors la possibilité d’un cinéma de la classe moyenne. De plutôt que sur : Rohmer ne se contente pas de la dépeindre, il créé un cinéma qui épouse ses préoccupations, sa vérité, même, tout en les replaçant dans un questionnement existentiel plus large. Deux cinéastes seulement semblent alors avoir suivi ses pas : Jean-Claude Brisseau, dans son extraordinaire premier film La vie comme ça, et donc (un cran en dessous) Fassbinder. Plus volontiers critiques que ne l’était Rohmer, l’un et l’autre se montrent aussi plus prompts à dénoncer l’aliénation moderne, ainsi que les conformismes. L’Amour l’après-midi revu par Brisseau prenait des airs de Locataire, et le Fassbinder ne peut s’achever que dans le fait divers, inventant ainsi, bel oxymore, quelque chose comme une tragédie rohmerienne.