Jean-Luc Godard n’en finit plus d’inspirer de nombreux cinéastes, pour le pire comme pour le meilleur. Je suis né d’une cigogne se situerait à la lisière des deux frontières, comme un hommage en demi-teinte. Entre exercice de style et essai théorique, Tony Gatlif reprend à son compte la liberté d’expression du réalisateur de Pierrot le fou ou La Chinoise et c’est ce qui fait, de prime abord, le charme du film. Des acteurs en roue libre, une histoire qui semble s’improviser sous nos yeux, des pirouettes narratives surprenantes, et des clins d’œil à la caméra et aux spectateurs constituent un joyeux délire qui n’hésite pas à s’acoquiner parfois avec l’absurde.
L’histoire de la cavale d’Otto, jeune chômeur qui essaie en vain de vendre Le Réverbère, de Louna, une Berlinoise qui perd son appart et son boulot d’apprentie coiffeuse le même jour, et de Ali, jeune beur surdoué passionné par la philosophie, n’a d’autre but que d’organiser une réflexion autour de la question de l’immigration. Tous trois recueillent, en effet, une cigogne qui s’appelle Mohamed et qui veut rejoindre clandestinement sa famille en Allemagne. Tony Gatlif choisit d’aborder son thème principal sous l’angle d’un certain détachement qui fonctionne plutôt efficacement (notamment les personnages parodiques interprétés par Romain Duris et Ouassini Embarek). Souvent drôle, mais parfois lourd (la pique gratuite lancée au critique de cinéma représenté comme un simple poseur de tampons d’opinion, la scène sans queue ni tête du festival au cours duquel les deux héros volent les trophées), le film porte en lui les réussites et les limites d’une œuvre dans laquelle le cinéaste distille à son gré ses goûts personnels.
Je suis né d’une cigogne se démarque nettement des œuvres de Godard (plusieurs fois cité dans le film) par le manque de prises de risque. Les libertés que prend le réalisateur avec le « dispositif du cinéma » (la caméra considérée comme un personnage concret) se limitent à celle d’un jeu bon enfant avec le spectateur, histoire de le bousculer sans trop le déstabiliser. Tony Gatlif ne propose pas de solutions au problème de l’immigration : il se contente de présenter quelques symptômes. Il s’en tient donc à un constat qui n’évite pas toujours l’écueil du cliché (les CRS forcément cons, le militant FN en perroquet, etc.). Il ne suffit pas de citer Debord, le Che ou Marx en s’exclamant qu’ils avaient raison pour créer une œuvre au diapason de leur valeur. Idéologiquement, Je suis né d’une cigogne n’apporte rien, régresse même jusqu’à l’exposition simpliste de problèmes (les jeunes forcément sympathiques qui se révoltent contre le chômage et les injustices sociales).
Le propos du film se limite donc à une forme d’acquiescement passif, à l’image d’une scène, à la fin, où l’on aperçoit, dispersés par terre, les ouvrages de quelques intellectuels du siècle. Une contemplation sans participation…