Stéphane Brizé aime bien les métiers ingrats. Après la pervenche du Bleu des villes, c’est un huissier de justice qui traîne sa déprime dans Je ne suis pas là pour être aimé, film très français dans le genre comédie de moeurs, mais dont la maîtrise et l’élégance tranchent agréablement avec le tout-venant fumiste habituel. Point de complaisance ici, juste un équilibre très artisanal entre typage sociologique, ficelles de romance et performances d’acteurs, une volonté de justesse, d’intensité et de fluidité qui fait mouche. D’où une puissance discrète mais habile qui permet au film de ne jamais réellement flancher en d’abordant les grandes scènes avec une agréable sérénité.
L’intrigue reprend le schéma classique boy meets girl, encadré par une grisaillerie sociétale on l’a dit très française. Jean-Claude, huissier quinqua tristounet, peine à gravir les escaliers de ses locataires fauchés. Tenu par son médecin de se mettre au sport, il opte pour des leçons de tango. Il rencontre Françoise, plus jeune et futur mariée, qui ne résiste pas à son charme guindé. Première surprise : le film ne se cramponne ni aux afféteries du coup de foudre, ni à la sensualité du tango. Brizé se livre à une déconstruction discrète du genre, l’accouplant à une chronique grinçante. Le film ne prend ainsi corps qu’autour des seconds rôles (savoureux pour Jean-Claude, plus conventionnels pour Françoise), et le tempo cyclique distille autant la satire que l’étude de caractère. La rencontre n’est alors qu’un fil rouge parmi tant d’autres, petite excitation hebdomadaire, petit stress ou coup dur suivant la semaine, enjeu mis de côté et repris plus tard.
Tout cela pourrait tourner au dispositif de petit malin si Brizé ne faisait pas preuve d’une générosité folle. On pense aux seconds rôles, bien troussés, mais surtout imprévisibles, récupérés soudainement par le film, toujours plus importants qu’on ne l’imaginait : le dragueur collant, petit gagman sans surprise, devient tour à tour homme blessé (plan superbe digne de Sirk où Chesnais et Consigny s’étreignent fébrilement sous son triste regard) et délateur dont la perversion sophistiquée révèle sa subtilité. Les têtes d’affiches sont mêmes tenus à l’écart de cette complexité narrative, surtout Jean-Claude, raide comme un piquet, bougon et quasi muet d’un bout à l’autre. Ce décalage associé au jeu contenu de l’excellent Patrick Chesnais apportent une densité supplémentaire à l’action, plaisir de l’attente, de la compression avant une jouissive et délicieuse explosion. Bonne mécanique, bon mécano, grand petit film.