Découvert lors d’un festival au public hystérique et bon-enfant, Jason X nous avait laissé une impression des plus réjouissantes. Revu dans le cadre hautain et paisible des salles de projection parisiennes, une amère déception s’empara d’une partie des pré-défenseurs du film. C’est que, comme bon nombre de films fiers de leur légèreté, Jason X n’est pas vraiment un produit fini mais plutôt une proposition -comment relancer une série laissée pour morte depuis pas mal de temps-, une sorte de brouillon dont la seule finitude serait de ramener à une posture, état d’esprit ou attitude dégagés de tout enjeu commercial ou artistique.
Dixième épisode de la saga Vendredi 13, Jason X est un film de fan (nul doute que Jim Isaac fut gavé très tôt aux exploits du tueur au masque de hockey et élevé au bon air du campus champêtre de Crystal Lake), à mi-chemin de la mythification et de l’ironie roublarde. Réalisé à la manière d’une série Z laide et bancale, le film ne brille pas plus par la précision de ses cadres vidéo que par l’ineptie d’une interprétation visiblement sortie d’une caserne de bidasses texanes. Son rythme pesant, plombé par une partie centrale qui s’éternise à la façon d’un remake mongolo d’Alien (des couloirs sans fin sur fond de dialogues « fais-moi peur »), rappelle les pires épisodes du « Renard » sur France 3. D’où vient alors la sympathie qui se dégage du film ? Avant tout dans sa façon de penser la série comme matériau d’expérimentations et de télescopages aptes à créer une féerie vivifiante. Jason n’est plus ici qu’un méta-corps SF passé aux rayons X d’un futur lointain, traité comme une espèce d’objet biologique dont l’immortalité serait une inextricable énigme cinématographique. Passant du statut de steak congelé à celui de super-héros de synthèse, il évoque un corps malade, outrancier, simultanément trop-mort ou trop-vivant, pur bloc de réflexe pavloviens, capable de se muer en météore brûlant le temps d’une anthologique scène finale.
Il y a là, plus qu’une relance cynique de la série, une volonté de pousser à bout ses limites pour ouvrir sur une sorte de folie exténuée jusqu’à l’incandescence. Le plaisir de voir Jason revenir à chaque fois plus fort, dynamiter toute tentative de rationalisation de son statut diégétique, ramène à l’utopie du serial et à la création d’une mythologie dont la bâtardise originelle s’effacerait au profit d’un rêve d’éternité n’ayant plus de valeur que pour lui-même. Jason est un feu qui ne veut pas s’éteindre, un spectacle inepte dont la seule fin est de continuer envers et contre tout. En cela, il n’incarne rien moins qu’un cauchemar de cinéma (sa mécanisation) autant que son rêve, fut-il le plus bas, d’immortalité et d’éternité.