Alors nouveau venu, Sam Mendes clôturait les années 90 par American beauty, florilège de procédés qui firent les plus grands hits de la décennie et bluffait à peu près tout son monde. Le soufflé retomba aussi sec avec Les Sentiers de la perdition, néo-polar mou dont l’élégance surfaite masquait mal l’académisme de son auteur. Un come-back tonitruant s’imposait et comme pour beaucoup la si polémique guerre du Golfe le permet à peu de frais. Mais on ne se refait pas si facilement. Si Jarhead joue l’impertinence rigolarde avec autosatisfaction, Mendes ne perd rien de sa roublardise et le renouvellement des tendances hollywoodiennes lui porte un préjudice sérieux. Alors que Jonathan Demme, Clooney & Co lancent une guérilla ouverte sur l’administration Bush Jr. en s’emparant de ses dossiers les plus honteux, lui reste bloqué à 1991 et Bush père, avec une avalanche de scoops datant de la même époque. Jarhead nous dit ceci : l’opération « Tempête du désert » fut une guerre sans soldat, un conflit nourri aux manoeuvres d’entraînements et à l’uranium appauvri. Merci pour l’info.
Mais pourquoi ce sous-titre –la fin de l’innocence- accolé au film pour sa sortie française ? Parce que Mendès tente malgré tout l’allégorie Bush Jr. en claironnant qu’un conflit (relativement) propre débouche forcément sur une frustration impossible à réprimer. Celle de finir le boulot en Irak ou plutôt le commencer, faire tôt ou tard verser le sang puisque les Marines sont formés pour ça. Sujet assez fort, que la trame du scénario tiré d’un best seller épouse non sans efficacité. On suit la destinée d’un jeune marine et de sa garnison, de sa formation à son arrivée en Arabie Saoudite. D’abord rebelle, il finit par se prendre au jeu au cours d’une interminable attente. Et c’est dans cette coquille vide où fond et forme se confondent que Mendes déploie au mieux son style de pasticheur condamné à la frime. Il n’est jamais aussi bon lorsqu’il se réfugie dans une posture de spectateur regardant avec envie les grandes oeuvres guerrières : Apocalypse now et The Deer hunter passent en boucle à la caserne, une musique des seventies s’échappe d’un hélico et les soldats trépignent, hurlent et pleurent, conscients du rachitisme de leur propre histoire. D’où l’importance de la masturbation du héros, beau moment du film, le meilleur en fait, où Mendes se gave de fantasmes kubrickiens jusqu’à l’aliénation, ressassement entêtant et fiévreux de vignettes édulcorées qui, à force, finit par prendre corps.
Malheureusement, la deuxième partie du film passe à l’action et Mendes gère de plus en plus mal son effet Désert des tartares. Le fond est toujours là sans y être : pas un mort, ni un combat, seulement des manoeuvres militaires et des raids en plein désert, que la forme cherche à sublimer en grands tableaux pompiers, succombant à la tentation de l’épopée mythique. Et le film de tomber dans un récital d’enfonçage de portes ouvertes avec une grâce de mammouth : un amas de voitures carbonisées à l’uranium appauvri, les bavures des frappes chirurgicales, les mines dépitées des marines intelligents (« on tue des innocents, mais où va le monde ? ») et autres puits de pétroles en feu. Le tout servi par une photo rutilante, chromée au poil et une lenteur hypnotique, qui relève plus du défilé de mode qu’une mise en place de l’horreur. C’est là que se révèle complètement Mendes : pour la frime, il est au top ; en ce qui concerne le cinéma, peut mieux faire.