Difficile d’échapper à l’impression de déjà-vu devant ce biopic sans mystère de l’écrivain Jane Austen. Hollywood s’est déjà largement emparé de son oeuvre : Emma, Raison et sentiments, Orgueil et préjugés et même sa fatigante version indienne, Coup de foudre à Bollywood de Gurindher Chadha. Restait donc sa vie à explorer. Mais le tour de force tautologique de Julian Jarrold consiste à adapter la vie d’après l’oeuvre, autrement dit Jane Austen, sa vie, son oeuvre, c’est tout un. Transformée en nouveau roman d’Austen, la biographie vue par Jarrold se contente de re-filmer sans scrupules Orgueil et préjugés.
Mais cette fois, retranché derrière une garantie de véracité, Jane prétend révéler la matrice de l’oeuvre, l’original authentique de la fiction. Inspiré d’un épisode pourtant bien obscur de la vie de l’auteur (dont on sait peu de choses, seulement à travers sa correspondance lacunaire avec sa soeur Cassandra), Jane fantasme les amours malheureuses de la jeune et piquante Jane et de l’arrogant Tom Lefroy (qui aurait servi de modèle au personnage de Darcy dans Orgueil et préjugés). Joliesse oblige, la figure énigmatique de l’écrivain s’incarne et se lisse gentiment dans le visage charmant d’Anne Hathaway, espiègles minauderies à la Audrey Tautou, et le tour est joué. On se laisse porter par l’histoire ou ce qu’il en reste, scénario intangible de la passion amoureuse, mais à quoi bon ?
C’est peut-être du côté de la campagne anglaise et de la lumière que le film se rachète un peu. Les premiers plans sur le paysage, l’herbe, la brume retiennent l’attention. Tout au long du film, le bleu d’une robe dans les feuilles mortes, la frontalité d’une scène de groupe (la partie de cricket par ailleurs d’une niaiserie affligeante) ou encore le plan très large sur une promenade en bord de mer égrainent quelques jolies surprises presque picturales et qui laissent un peu respirer.
Et au fait, l’écriture ? Comment Jane devient l’écrivain Jane Austen ? C’est ce que semble annoncer le titre original (Becoming Jane) mais l’écriture est au rancard, guère de signes avant-coureurs du génie littéraire, c’est peu dire. Totalement affadi par la romance, le scénario semble oublier qu’il s’agit de la vie d’un écrivain et a fortiori d’une femme écrivain dans l’Angleterre du début du XIXe. En guise d’écriture, comme souvent, quelques livres traînent ici et là, quelques plans d’une main traçant dans une élégante calligraphie d’époque des mots murmurés en off ou bien, acmé de la création, l’écrivain en chemise de nuit possédé par l’inspiration. Pas de chambre à soi pour la Jane de Jarrold. Espérons qu’après cette véridique bluette en costumes, on laissera Jane Austen un peu en paix.