Mouais. C’est l’impression qu’on a à la vision de Inside man tant cette dernière cuvée de Spike Lee manque de cuisse. Pas un scoop : le cinéaste ne cesse en effet de décevoir depuis des années, sélectionné nulle part -et pour cause-, se perdant dans de longs et lourds discours sur une négritude qui vire depuis longtemps à la pure posture. Inside man, après le petit mieux entrevu dans La 25e heure, s’affiche comme un appel du pied à Hollywood en forme de résignation hurlée et un ancrage post 11-Septembre de type l’Amérique ne sera plus jamais la même. Mouais, encore : l’opportunisme thématique tue dans l’oeuf le simulacre de discrétion de Spike Lee, qui tambourine à qui veut l’entendre qu’il est un auteur déguisé en faiseur et qu’il va tout casser.
De casse, il est justement question. Denzel Washington incarne un flic débonnaire chargé de converser avec un chef braqueur très malin. Ce dernier ordonne aux otages de la banque qu’il dévalise d’enfiler les mêmes tenues et masques que lui, super astuce pour « sortir par la grande porte » sans se faire pincer. Jusqu’ici, tout fonctionne pas mal, car Lee n’a rien d’un bras cassé techniquement parlant. Toujours au bord d’une grandiloquence dont on ne saura jamais si elle est ironique ou non, il conduit finalement son récit avec classicisme et droiture. C’est le coté frimeur du film le moins pénalisant, cette manière de surligner les conventions du genre en apôtre obèse de John McTiernan : les masques des malfrats stylisés, les conversions avec le négociateurs toutes en rondeurs gourmandes, la musique et les cadrages en chêne massif. Les acteurs aussi, des stars par brochettes que Lee accule au cabotinage cool : belles sapes, répliques groovy, ceux-ci arrivent à mettre le film en apesanteur.
Sauf que derrière le Spike Lee taquin déboule le Spike Lee gros lourd, sans autre vision du monde qu’un arsenal de discours grumeleux. Et le film de dévoiler son auguste dessein qui est en effet de tout casser : le genre s’empâte petit à petit, assommé par des pans entiers de séquences bavardes et grotesques où le scénario perd de son haletant. Pire : Lee se cogne à l’équation qui le hante mais qu’il ne peut résoudre, même du temps de ses films indépendants : transformer le politique en enjeu de cinéma, en fluidité pure, posture dandy par excellence auquel le cinéaste a toujours été sensible et qui éclate au grand jour dans ce qui est tout sauf une commande ronchonne. Hélas, même le thriller, genre dynamique par excellence, ne peut relever le défi. Il provoque même une mise à nue cruelle : Lee divague, raconte n’importe quoi sur les executive men ou sur les flics, va chercher des métaphores improbables pour sonder l’air du temps. Du coup, de l’incapacité de filmer, Inside man questionne sur l’incapacité de penser. Lee essaie par tous les moyens, mais c’est finalement lorsqu’il filme l’abattement (ou la divagation de l’esprit comme dans La 25e heure, on y revient) qu’il se révèle le plus efficace.