Ni plus ni moins que son programme ? C’est évidemment ce qu’on peut attendre de mieux et de plus rassurant de la part d’un film de Quentin Tarantino. Ni plus ni moins que son programme, ce qui veut dire dans un cas si particulier écraser tranquilou et quoi qu’il fasse (même filmer un banal champ contrechamp) à peu près 99 % de la concurrence. Il suffit de quelques plans à Inglourious basterds pour atteindre ces cimes (une séquence d’interrogatoire dans une ferme perdue) et ne jamais en redescendre. Tout le film s’inscrit dans une logique de montée en puissance – essentiellement basée sur de prodigieuses joutes oratoires – explosant le temps d’une séquence finale qui pourrait se résumer à un vaste barbecue aux brochettes de Nazis. Tout le film, surtout, se circonscrit humblement à son petit argument de série B extatique et pétaradante : une milice de Juifs américains sème la terreur parmi les officiers S.S. en pleine Deuxième Guerre mondiale, scalpant, zigouillant et humiliant du soldat teuton en pleine France occupée. Uchronie délirante et plongée dans une Histoire parallèle qui coupe Inglourious basterds de tout principe de réalité et le condamne à demeurer dans un temps démantibulé et fantasmatique, logé dans un clair vertige. Deux horizons à cette traînée de poudre imaginaire : le Comics acidulé (Brad Pitt en surrégime euphorique, absolument prodigieux) et la farce la plus rudimentaire (la représentation grotesque et jouissive des Nazis dans leurs petites fêtes privées).
Cette réécriture burlesque de l’Histoire rompt avec la tendance la plus antipathique de Tarantino (le côté djeunz arrogant et merdeux dans lequel se complaît la première partie de Boulevard de la mort), et suspend l’oeuvre à un simple principe d’efficacité et d’explosivité maximale. Même lorsqu’il se laisse aller à faire enfler les scènes a priori secondaires (ce qu’il fait mine de jouer en permanence), le film ne le fait que selon un élan-domino destiné à décupler l’effet de la séquence finale, à la manière d’un élastique tendu dans ses dernières limites (la scène du bar avec Diane Kruger). Même dans ce qu’il a de plus lourd (le personnage de Mélanie Laurent et la métaphore du cinéma comme arme de résistance), Inglourious basterds reste plutôt humble et ne s’en remet jamais au sérieux et à la puérilité un peu faux-derche qui pourrit nombre des meilleurs films du cinéaste. Reste alors le meilleur, pur plaisir de gourmet dont le raffinement extrême dans la perversité (le personnage inouï du chasseur de Juifs) contraste en permanence avec cette manière affolante de faire glisser ou claquer les plans avec l’aisance et la facilité d’un intouchable. Admirable de simplicité, fulgurant d’aisance et de spontanéité formelle, Inglourious basterds est le film le plus plein et le plus réconfortant réalisé par QT depuis Jackie Brown.