Steven Spielberg s’est finalement décidé à tourner Indiana Jones IV avant qu’Harrison ne se déplace en déambulateur. Un mal pour un bien, finalement. Deux raisons à cela. D’abord, le scénario avait sans doute besoin de dix ans de gestation supplémentaire pour être convaincant. Ensuite, Harrison Ford n’est pas assez vieux pour changer le braquet de la série. Résultat : Spielberg se retrouve aux commande d’un programme mou, faille spatio-temporelle figée dans la naphtaline où le kitsch vaguement volontaire se dispute aux implants de modernités greffés ici ou là.
L’époque déjà : la Guerre froide qu’un Indy grisonnant mais toujours fringuant découvre du coffre d’une voiture banalisée du KGB : une séquence époustouflante, les enjeux défilent (flippe du nucléaire, de l’autoritarisme, du culte de l’homme nouveau, Indy préférant couver la légende et les vieux textes), charriant une somme de problème que le scénario ne résoudra jamais vraiment. Le maccarthysme, l’ambivalence de la CIA (un simple effet de manche archi opportuniste et hop !, on passe à autre chose…), comme celle du rival soviet… aucune de ses difficultés ne peut se lover dans un manichéisme dynamique et l’action de se mettre au diapason. C’est clair, Indy a une facette vieux con, pas seulement de corps mais d’esprit. Le chevalier du XXe siècle en pince pour Eisenhower, petite casserole qui se change en chaudron de fonte au générique de fin : célibataire coureur dans les premières images, il ferme l’épisode au bras d’une quinqua exhumée du premier épisode (Karen Allen, belle et fripée comme Ford) et castre le fiston en lui interdisant le port du chapeau. Bref, Ford 2008 a avalé le Sean Connery de 1989 sans que jamais sa descendance, déguisé en Marlon Brando façon Patrick Sébastien, n’ait une chance face à lui.
La mise en scène est à l’avenant, Spielberg perdant son sens de l’aspiration, de l’urgence des derniers films, trop préoccupé à retaper le passé, à baiser les pieds des fans (les clins d’œil sont d’une lourdeur pachydermiques). La nostalgie a pourtant toujours existé chez lui mais elle servait de charpente et de tremplin à une révolution esthétique – Minority report par exemple, métaphore politique que n’aurait pas renié Richard Fleischer sur le fond, la forme dessinant les contours de la ville du XXIe siècle. Ici, c’est l’inverse : le moderne est au service du nostalgique, confiné à un pur toilettage. On pourrait certes en dire autant des trois premiers épisodes mais ce n’est pas pareil. La trilogie fabriquait un monde, creusait des galeries nouvelles, en pure pionnière du revival des serials. Ici, le plaisir des retrouvailles écrase l’innovation, laquelle sert la soupe, passe les plats – le crane de cristal réduit au strict rang de passe partout scénaristique dont le film se sert trop souvent. Scénariste-producteur zélé, George Lucas, qui poussa Spielberg à rempiler, se croit sauvé d’affaire, évoquant l’authenticité de la légende du crâne d’Akator, contrairement aux légendes foireuses d’ersatz aventuriers de type Benjamin Gates. Hélas, là où l’arche perdue promettait le pouvoir, le temple maudit une foire exotique et la dernière croisade l’immortalité, le crane de cristal reconstitue simplement le monde d’Indiana Jones. Immortel peut être, mais avec rouille, carbu déformé et carrosserie cabossée.