Deux soeurs s’aiment et se disputent. Avocate d’affaires, la moche assure dans sa vie professionnelle au détriment de l’amour, la belle papillonne à qui mieux mieux mais se dissout dans la superficialité. Film de girls a priori sans consistance, In her shoes s’affirme sous la houlette de Curtis Hanson, une étude de caractère d’une insoupçonnable profondeur, oeuvre généreuse et virtuose à sa manière. Comme pour L.A. confidential ou 8 miles, le classicisme du petit maître hollywoodien a raison de toutes les peurs : l’éventuelle hystérie ou platitude des personnages, le côté frou frou du scénario qui collectionne les allégories faciles sur la féminité ou autres bavardages psychosocios.
Pour autant, In her shoes ne prend pas la tangente vers un second degré ou un cynisme honteux. C’est justement tout le contraire que Hanson installe, s’en tenant à un pragmatisme brut, minéral : deux espaces tendus par deux lignes de fuites opposées qui s’épaississent et s’enlacent dans un seul et même plan, deux actrices symétriques dont la ressemblance avec leur personnage est délibérément fortuite. L’exercice s’avère galvanisant pour Cameron Diaz et Toni Colette, obligées d’assumer leur statut une bonne fois pour toutes afin de glisser aisément dans les shoes de l’autre. Leur rupture a ceci d’intense : chacune concentre l’attention du cinéaste pour elle seule, trouvant un moyen d’investir le plan pour le tailler à sa mesure et le faire rayonner souplement. Ou comment l’espièglerie sexuée de la première trouve sa place dans l’univers défraîchi des mouroirs de Floride pendant que la seconde apprivoise l’anonymat hostile des grandes villes.
Il faut voir aussi comme le film, poussé par une sorte de bienveillance inconsciente et revigorante, intègre les seconds rôles. A priori condamnés à la figuration, à peine saisis au bord du cadre, ils investissent la fiction comme dans un train en marche. Meilleur exemple : le collègue de l’avocate, escamoté au seuil d’une chambre d’hôtel qui repart à l’abordage sans prévenir au milieu d’un passage clouté. Scène de drague banale qui sème son trouble pour la suite, véritable boîte de pandore de réalisme magnifié où le quidam dévoile un charme inventif sans renoncer à sa normalité. C’est tout l’Art du premier degré de Hanson, s’en tenir à ce qui se voit sans rien brusquer et laisser faire, se rapprocher d’une accélération minimale du temps afin de permettre au film de se densifier seul. On se souvient de Wonder boys, petit traité humaniste digne de Hal Ashby où la mise en scène, d’une solidité de cadrage époustouflante, n’avait pour seule fonction que d’apaiser le rythme infernal de l’histoire. Bien bel ouvrage, vraiment, d’un cinéaste en pleine possession de ses moyens et capable de tout faire.