Comment ça se fait ? C’est la magie du cinéma ? Vous pensez toujours que les femmes au cinéma détiennent le phallus ?
Non, c’est parce qu’elle a un physique violent comme celui d’Emmanuelle Devos. Alors c’est très intéressant pour la caméra parce que son visage peut être laid ou beau, c’est un visage qui ne parle que pour lui-même, qui ne parle pas pour les autres. Et sinon oui, je pense toujours que le cinéma filme la différence sexuelle. Ca marche aussi pour les adolescents sauf qu’il y a peut-être plus d’ambiguité sexuelle, plus d’androgynie par moments, chez certains personnages. Mais j’insiste, le cinéma, à la différence du théâtre, est ému par la différence sexuelle.
Le cinéma est ému par la différence sexuelle
C’est un discours de cinéphile imprégné de cinéma américain très discuté aujourd’hui par la lecture qu’en font les gender studies…
Vous voulez dire que ce n’est pas politiquement correct ? J’ai relu récemment La protestation des larmes de Stanley Cavell, tout son truc sur les gender studies, savoir si Freud était oui ou non misogyne. C’est passionnant. Il y a à la fois une défense de Freud et une acceptation des arguments des gender studies en même temps qu’une remise en cause de leur point de vue trop étriqué sur la question. J’ai lu ça avec beaucoup d’émotion mais c’est très difficile à résumer.
Cavell vous a servi pour Trois souvenirs ?
Oui beaucoup, pour le personnage d’Esther, parce que le film est un mélodrame, un film pour faire pleurer dans les chaumières. J’ai un ami, Alexander Rockwell, qui fait des comédies, il me dit « Arnaud, tu connaitras jamais ce plaisir où, dans la salle, les gens rient au moment où tu veux qu’ils rient ». Et là c’est la première fois où quand je projette le film et que je me retourne je vois les distributeurs qui pleurent. Là je me dis que j’ai fait mon travail. Le corps ne trompe pas. Vous avez le même effet que la comédie mais en mélodrame. On dit toujours que la comédie c’est le genre le plus difficile…
Ce n’est pas un genre très respecté ou qui ne passe pas pour très noble
Pour vous peut-être, mais pourtant il n’y a que ça comme affiches dans le métro.
Oui mais il y ce débat conventionnel comme quoi il n’y a jamais de comédies au César ou ailleurs…
Oui aux Oscar il n’y en a jamais. Mais un réalisateur comme Judd Apatow s’en fout des Oscar, son travail est ailleurs. Je repense à cette scène dans Hannah et ses soeurs où Woody Allen est au cinéma devant les Marx Brothers qui gigotent du derrière et là il dit que ce qu’il y a de plus fort que l’existence de Dieu, c’est gigoter du derrière. Et là le personnage sort de sa dépression. Ce serait affreux de gigoter du derrière et de se retrouver aux Oscar ! Il faut rester à la marge. Alain Chabat, qui est un génie, j’espère qu’il ne se retrouvera jamais aux César, c’est beaucoup plus subversif comme ça.
Vous avez déjà pensé à faire une comédie ?
Non non, c’est déjà dur de faire pleurer les gens. Les spectateurs n’ont pas envie de ça, ils veulent voir un truc cool, un truc marrant. C’est difficile d’émouvoir les gens, il faut être un tout petit peu honnête pour ça.
Trois souvenirs et Comment je me suis disputé sont deux films coupés en deux, avec une partie masculine et une autre féminine, on passe du récit d’apprentissage au mélodrame féminin…
Dans les deux cas Esther conquiert le film et ça, c’est le film qui me l’enseigne. J’écris n’importe quoi, je me relis et je me dis « ouh putain, en fait elle a pris le pouvoir sur le film ! ». Dans Trois souvenirs, c’est elle qui dévore le film et qui dévore les deux épisodes précédents, exactement comme le coup de force de Devos dans Comment je me suis disputé où elle décide que le film est à elle. On terminait pourtant sur Denicourt qui jouait nue au Mikado mais Dédalus pensait à Esther : là on se disait qu’elle prenait toute la place, comme quelqu’un qui prend toute la place dans un lit.