Les grands cinémas d’Afrique de l’Ouest, du Sénégal au Burkina, naviguent aujourd’hui à vue sur l’écume laissée par les anciens, ballottés par des flots hésitants (poussée documentaire, élan numérique, cinématographies émergentes de l’Afrique du Sud, du Nigeria ou de la Namibie). Qu’Il va pleuvoir sur Conakry, belle surprise du dernier festival de Ouagadougou (le mythique Fespaco), nous vienne de Guinée, pays sans tradition cinématographique forte, ajoute à ce sentiment d’entre-deux et de charnière : par son usage absolument normalisé de la HD, par son souci d’épouser une temporalité urbaine en rupture complète avec les « films de calebasse » (films traditionnels de village), le film de Cheick Fantamady Camara agit comme un appel d’air. Le traitement est d’autant plus remarquable qu’il est encore affaire ici de l’éternelle opposition archaïsme / modernité (un jeune caricaturiste lutte contre l’influence de son père, un imam radical) et que le film ne brille a priori pas par l’originalité de son sujet (l’emprise de la superstition sur une population espérant désespérément l’arrivée de la saison des pluies).
Le titre ouvre une attente sur laquelle s’enclenche le présent pur d’un récit où chaque micro-événement est susceptible de bouleverser la donne de départ. A cette linéarité, la mise-en-scène doit ses faux-airs de sitcom parfois un peu cheap, mais aussi cette manière d’affronter avec un courage et une frontalité exemplaires les scènes les plus difficiles (comme celle, admirable, de l’affrontement décisif entre le père et son fils). Il ne faut pas se fier à la demi-langueur qui amollit parfois le rythme : celle-ci n’est qu’attention, subtilité et douceur. Elle pose, à mesure que le récit avance en murmurant vers son bouleversant finale, les jalons d’une nouvelle esthétique contemporaine : au croisement d’un puissant cinéma de tradition et des petites romances numériques qui fleurissent, désormais, un peu partout en Afrique. Là n’est pas le moindre des défis relevés par ce remarquable premier long-métrage – s’offrir en beau film pour aujourd’hui à l’heure où le cinéma africain n’a pas fini de se frotter à l’héritage historique de son riche passé.