Au dernier festival de Cannes I love you Phillip Morris fut une révélation. Passé un premier quart d’heure indiscutablement drôle et enlevé, mais légèrement cynique (qui laisse craindre le petit malin) se dessine peu à peu un mélo bizarre, heurté, un récit décousu et triste, tout en mélange des genres et ruptures de ton, qui s’apprête à bifurquer un certain nombre de fois : une comédie du coming-out, une romance fleur-bleue derrière les barreaux, un Arrête-moi si tu peux un peu cheap… Le film évoque par instants les seventies de Fassbinder ou Bertrand Blier, ces mélos foutraques et mal peignés, y compris dans la reprise de certains motifs : homosexualité, travestissement ou prison. A ceci près qu’à la tonalité grotesque et volontiers provoc de leurs aînés, Ficarra et Requa opposent une dimension midinette assumée tout à fait désarmante, une forme de stylisation discrète. On note aussi une dimension conceptuelle évidente, à travers l’interprétation de Jim Carrey, génial (sans doute son plus beau rôle avec Man on the moon) et dont plusieurs réussites passées, de Dumb and Dumber à Fous d’Irène, sont explicitement convoquées. On voit bien (c’est par endroits très net) que le film s’est construit autant à partir des précédentes incarnations du comédien que des impératifs du biopic et de la trajectoire du « vrai » Steven Russell, donnant un résultat hybride vraiment saisissant, tenant à la fois des expérimentations farrelliennes (plutôt première période) et d’une gravité plus classique.
I love you Phillip Morris est surtout une oeuvre extrêmement douloureuse, plus encore que le magnifique Arrête-moi si tu peux (leurs finals respectifs y sont sans doute pour beaucoup). Un film qui passe son temps dans les prisons et les hôpitaux et finit par dégager un parfum existentiel amer, une sensation de beau gâchis, à travers ces parcours prometteurs gâtés par quelques mauvaises décisions et la malchance. Un fil rouge surprenant traverse le film, à la fois entêtant et discret, qui est celui de la maladie – obsession inhabituelle pour une comédie d’escrocs. On est frappé de voir à quel point les séjours à l’hôpital jalonnent la trajectoire de Russell, façonnant ses revirements et choix de vie : un accident de voiture provoque son coming-out, le sida revient, obsédant, tout au long de la seconde partie, Phillip Morris souffre d’un diabète et de crises d’angoisse aux moments critiques. C’est trois fois rien, une main qui vient calmer une poitrine manifestement opprimée, mais ces quelques secondes (montre en main) révèlent à elles-seules toute la fragilité du film. Dans ce type de scène, Jim Carrey est grandiose, son outrance de jeu devenant indistinctement pathétique et comique. Le comédien excelle à ces contorsions impossibles. On ne fera pas semblant de s’étonner, une fois de plus, de la plasticité de ses traits : toujours impressionnante, mais parfois sans objet, cette particularité trouve ici tout son sens, façonnant un jeu plus sombre que jamais, toujours aussi clownesque, politesse d’un film en fin de compte assez désespéré.