« Pas de belles photos, pas de belles images, mais des images, de la photo nécessaires », écrivait Bresson, plus prophétique que jamais. Parlons maintenant de Greenaway. Quelle nécessité pousse le cinéaste anglais à filmer comme il le fait ? Aucune. Seule la performance visuelle l’intéresse, ce qui (hélas) lui vaut d’être applaudi par des cohortes de petits dandys branchés, férus d’art conceptuel, et totalement profanes en matière de cinéma. En ce jour funeste, que ces derniers se rassurent : le saint patron de la superficialité formelle, cet esthète sénile qui s’obstine à bâtir de jolies images sur du rien, ce bon vieux Peter Greenaway sort un film. Après nous avoir assommé à coup de Pillow book, épais catalogue de cartes postales d’auteur, sur le thème racoleur de « l’éro-esthétisme asiatique », Greenaway a eu la brillante idée de refaire un film au Japon (rien d’étonnant, après tout, de la part d’un cinéaste qui préfère les estampes aux films). Huit Femmes et demie (pauvre Fellini) se construit autour de l’histoire d’un fils décidé à reprendre en mains la sexualité de son père, vieux nanti devenu veuf. Ce lamentable semblant de scénario, qui s’échafaude entre Tokyo et Genève, est prétexte à de nombreuses scènes d’une totale gratuité (le père se met à poil à l’enterrement de sa femme), clairement destinées à choquer (père et fils comparent leurs corps nus, puis couchent ensemble), et parfois même à la limite du racisme (le point de vue du réalisateur sur la docilité sexuelle de la femme japonaise fait froid dans le dos).
D’autre part, le style de Greenaway s’épuise. A défaut de nous donner à penser, les fameux « plans tableaux » du cinéaste, plus volontaristes et sophistiqués que jamais, ne s’avèrent même plus agréables à contempler d’un œil passif, tant ils nous étouffent. Entre ces derniers, le cinéaste semble perdre toute inspiration, et en vient à meubler son film d’un découpage classique ultra répétitif (tous les échanges dialogués sont uniquement basés sur des gros plans en champ/contrechamp). A trop vouloir ignorer -ou mépriser- le langage propre au cinématographe, Peter Greenaway se retrouve piégé : sa conception étriquée et anecdotique du cinéma ploie sous les lourds interdits qu’elle s’était fixée. Ayant épuisé toutes les facilités esthétiques les plus démonstratives, il se révèle incapable de se renouveler, ne sachant plus comment produire du sens par le biais d’images isolées de plus en plus fastidieuses, et qui, bien sûr, éludent totalement l’importance du montage. Il faudrait que Greenaway comprenne une fois pour toutes que le cinéma n’est pas l’art de l’image, mais l’art des images.