Pendant la promotion de son précédent film -il y a tout juste un an- François Ozon avait confié son agacement de voir le cinéma français réduire le plus souvent les silhouettes féminines à la taille fine et à la peau de pêche des « jeunes premières ». Sous le sable était une réponse à cette monotonie des corps Contre le canon de beauté lisse et formaté, au besoin retouché, le cinéaste filmait un corps atteint par le deuil, une machine grippée. Le véritable sujet du film -et sa beauté- était ce corps féminin au travail, face à un autre manquant. On se rappelle encore la réplique de Charlotte Rampling à Jacques Nolot, impossible remplaçant de son mari disparu : « Tu ne fais pas le poids ». Une histoire de poids donc, et Charlotte Rampling pour incarner ce personnage malade et offrir enfin un âge mûr à un corps de femme, sans chi-chi et avec beaucoup de grâce. Comme Sous le sable, l’histoire de 8 femmes tourne autour d’un homme absent. Si la question n’est plus : « Comment a-t-il disparu ? » mais « Qui l’a fait disparaître ? », si le ton change radicalement -ici, délire de la comédie bouffonne, là, sobriété du drame intimiste- le questionnement demeure le même : « Que fait le corps d’une femme seule » ? Mais au pluriel.
Fidèle aux partis pris qui ont fait le meilleur -Gouttes d’eau sur pierre brûlante- et le moins bon -Sitcom, Les Amants criminels- du cinéma d’Ozon, 8 femmes croise plusieurs genres et se présente comme un jeu de pistes plutôt amusant. Avec un casting 100% féminin qui rassemble quatre générations de comédiennes, toutes ou presque de premier plan, le film réjouit d’abord par sa façon directe d’employer -au sens propre de donner un emploi– les actrices, de les façonner, d’en faire des « créatures monstres » en les affublant chacune d’un look et d’une fonction avec lesquels elles vont pouvoir déployer d’un même mouvement leur talent d’actrice et leur qualité de femme. On sent d’emblée la jubilation prise par Ozon à diriger ses actrices et derrière cette relation de travail, l’hommage que le cinéaste a voulu rendre au métier de comédienne. Jamais la phrase de Rivette selon laquelle toute fiction est un documentaire sur son tournage n’avait été aussi juste. C’est d’ailleurs une des réussites de 8 femmes, ce passage, perceptible à l’écran entre le temps du tournage et le temps de la fiction comme si, la relation entre l’homme absent et les huit protagonistes du film était le double visible d’une réalité cachée, celle du jeune cinéaste et de ses huit actrices.
Pourtant, en dépit du caractère débridée de la galerie de portraits, d’une mise en place impeccable où chacune joue son rôle, sage ou fantasque, polie ou nonchalant, développant différentes facettes de l’être féminin -femme-fatale, femme-enfant, femme jalouse- le film s’essouffle assez rapidement. Comme si le système Ozon, plus sage que d’habitude, s’était contenté d’un désordre trop bien réglé. A l’image des chorégraphies et des chansons qui jalonnent l’histoire : toujours parfaites mais fonctionnant presque à vide. Si la comédie musicale est bien l’horizon du film, Ozon ne parvient pas du tout à en retrouver la magie et les charmes. C’est qu’à revoir les réussites du genre, on s’aperçoit que leurs intrigues -comme les livrets d’opéra- sont rien moins qu’insignifiantes, qu’elles sont au contraire le motif autour duquel s’enroulent les chants et les danses. Or, l’intrigue de 8 femmes a peu d’intérêt : c’est le cluedo annoncé par la bande-annonce et rien ne justifie cette carence qui fait que, peu à peu, on se désintéresse complètement des propos échangés, des chassez-croisés des unes et des autres. On n’en voit pas la fin ; que les moyens. Au final, l’ironie et le savoir-faire d’Ozon fait de ces corps, des blocs sans histoire et sans chair.