La gueule carnassière de Rutger Hauer, coiffée d’un bonnet de gueux bien décidé à nettoyer sa bourgade au Winchester : il faut savoir garder son discernement devant une si douce promesse, à plus forte raison si elle est estampillée Grindhouse. Inédit dans les salles françaises, Hobo with a shotgun était à l’origine, une bande-annonce fake et do-it-yourself destinée à l’exploitation canadienne de Planet terror. On peut d’ailleurs se demander, malgré la réussite de Machete qui trouvait sa nécessité hors du registre strictement parodique, si tous ces faux trailers tordants gagnent à se changer en vraies pochades lourdingues. Parce qu’ici le résultat n’est pas tout à fait à l’abri de l’enlisement dans un pastiche rutilant mais gadgétique, grossièrement satirique. Heureusement, le pire est évité, parce que les petits malins derrière notre Hobo sont sauvés par un amour authentique pour les dérapages typiques du vigilante, genre fréquemment exhumé ces derniers temps, et qu’il s’agit cette fois de clochardiser.
Pendant un temps, Hobo with a shotgun s’ancre dans la série B avec une franchise plutôt crâne, convoque les poncifs réacs’ du revenge movie en conservant un premier degré noble et entier. Rutger Hauer, dans cette branche, est l’homme de la situation : tout comme Bronson et ses émules promenaient leurs autoritarisme constipé dans les ruelles sombres de NYC sans tomber dans le ridicule, Hauer s’invente un va-nu-pieds grincheux et plein d’élégance, capable d’émouvoir malgré des enjeux infiniment simplets. Mais la grande classe atteinte est entachée par la tournure beaucoup plus vainement frivole que prend le film à mi-parcours : l’addition gourmande de codes et d’archétypes cocasses du Z revanchard (pute pugnace, Père Noël pédophile, gangstas décérébrés) amuse épisodiquement, mais menace de réduire l’ensemble à une enfilade de sketchs graveleux. Entre hommage au film d’exploitation seventies et métananar farceur tendance Tex Avery, Hobo ne choisit jamais vraiment. Il tombe du coup dans l’écueil commun à toutes ces parodies qui se croient obligées de signaler leur propre décalage à grands renforts d’excès croquignolets, surjouant tout et n’importe-quoi pour afficher leur vocation comique – alors que les plus pince-sans-rire sont les meilleures. Gesticulations du cadre, double-doses de tripailles, allusions téléphonées au bis d’hier et d’aujourd’hui (d’un canardage noyé sous des nappes de synthé 80’s, on passe à un climax trashy clairement affilié au torture-porn) : délaissant le western urbain et timbré qui s’annonçait, Hobo donne dans un medley un peu confus et pas toujours drôle, qui révèle au moins un léger malentendu entre la génération des bricoleurs Youtube et le film d’exploitation vintage.
Reste malgré tout, droit dans ses bottes du début à la fin, le SDF héroïque de Rutger Hauer. Autour du personnage pullulent de bonnes idées, bien digérées par Hauer, dont la trogne esquintée fonctionne comme un palimpseste ridé, réfléchissant les spectres de tous les barbares qu’il a incarné. Le film utilise judicieusement cette aura incomparable, jouant sur des contrastes jubilatoires (le voir en père courage animé par un souci de justice, un peu cowboy leonien sur les bords, a de quoi amuser). Une séquence notamment le plante face à des nourrissons dans une maternité, lancé dans un laïus amer sur l’impossible droiture morale dans un monde décadent : « you will more likely end up like me, professe-t-il tristement : a hobo with a shotgun ». Hourra : le sauvage sanguinaire des années 80 est devenu un papy protecteur, prêt à tout pour sauver la jeunesse d’elle-même, dût-il pour cela pratiquer la loi du talion.