Après une carrière en dents de scie (un premier film très remarqué, Fingers, en 1978, puis un parcours discret et plutôt déclinant), James Toback, avec Black and white et aujourd’hui Harvard story, deux films tournés à peu d’intervalle, semble avoir entrepris de redorer son blason. Il faut dire que cet ex-prof de littérature new-yorkais, diplômé de Harvard et, paraît-il, joueur invétéré, ne se rend pas la tâche facile en pratiquant un cinéma qui, de près ou de loin, ne ressemble à rien d’autre. Tout comme Black and white, étude de mœurs un peu bidon mais au style alerte sur la culture hip-hop, Harvard story a pour point de départ une histoire de pari truqué, qui sert cette fois de prétexte à une évocation des wonder boys (and girls) qui peuplent le campus de Harvard.
Le générique -belle illustration du style tonitruant de Toback- montre en split-screen les préparatifs d’un match universitaire de basket et les ébats de Cindy (Sarah Michelle Gellar) et d’Alan (Adrian Grenier). La première est la fille d’un riche gangster, le second un beau gosse accro à la mari-jeanne et à Chesney, sa séduisante prof de philo. En cherchant à venir en aide à ses parents qui ont perdu leur maison dans une tempête, Alan se fourvoie dans une affaire de match de basket truqué en échange de 100 000 dollars prétendument prêtés par le père de Cindy. Il accepte ainsi à contrecœur de faire perdre l’équipe dont il est capitaine. Mais les choses se compliquent lorsque le F.B.I. décide de mettre en lumière cette histoire de pari truqué et d’utiliser Alan pour faire tomber le paternel mafieux.
Fait significatif, Toback a travaillé ce scénario pendant des années pour finalement le tourner en à peine trois semaines, réservant une large place à l’improvisation des comédiens. Cette méthode confère à Harvard story une tension très originale : malgré une trame solide, le film, imprévisible et survolté, donne l’impression de se réinventer à chaque scène. Fort d’une réalisation joliment sophistiquée, Toback cultive les ruptures de ton, alternant suspense policier, franche lubricité et apartés philosophiques. Certes, la réussite n’est pas toujours au rendez-vous : autant les scènes d’expositions sont brillantes, autant le ventre mou du film, digression loufoque sur les effets du LSD sur Alan, semble une incongruité un peu gratuite. Mais la maîtrise et le bagout du cinéaste lui permettent de retomber à temps sur ses pieds, et même de traiter pleinement son sujet. Sous l’humour noir, une mélancolie affleure, nous rappelant que le besoin de sensation fortes de ces personnages désenchantés les conduit à une vaine dépense de soi. Un casting parfait (le couple Adrian Grenier / Joey Lauren Adams éclipse même l’illustre tueuse de vampire) leur donne une présence pleine de nuances et de charme, et le film y puise un intense pouvoir de séduction.