Tenu pour la révélation française du dernier Festival de Cannes (le film a été vendu un peu partout et sera notamment distribué aux USA par Miramax), Harry, un ami qui vous veut du bien n’est pas vraiment à la hauteur des louanges qui ont suivi sa projection en mai. S’il reste un objet insolite, le film de Dominik Moll le doit moins à sa facture, au demeurant classique, qu’à son appartenance décalée à un genre ultra-codifié : le thriller hexagonal. Rompant avec les navrantes tentatives dévouées corps et âme à la cause hollywoodienne (sans toutefois arriver à la cheville des Américains : voir par exemple le tout récent Six-pack d’Alain Berbérian), le cinéaste d’origine allemande inscrit d’entrée et sans complexe son récit dans un cadre éminemment français. Une famille quelconque (un couple -Michel et Claire- et leurs trois fillettes), une autoroute, un départ en vacances avec tout ce que cela engendre -fatigue, chaleur, excitation des gamines, et stress des parents… Sur une aire de repos, Michel (Laurent Lucas) rencontre Harry (Sergi Lopez, plus convaincant que chez Poirier), un ancien camarade de classe dont il se souvient à peine. Ce dernier, au contraire, reconnaît tout de suite l’ex-étudiant et lui fait part de l’admiration qu’il avait pour lui à l’époque. De fil en aiguille, Harry et, dans une moindre mesure, sa pulpeuse fiancée Prune (l’excellente et excitante Sophie Guillemin) finissent par partager le quotidien estival de Claire et Michel. Fasciné par un poème de jeunesse de Michel, Harry est très vite obsédé par l’idée que son ami se remette à l’écriture, même s’il doit pour cela sacrifier tout ce qui y fait obstacle -en gros, rien de moins que sa famille…
Dominik Moll possède incontestablement l’art de suggérer, et, par là même, d’inquiéter. Ainsi, son personnage de manipulateur vaguement diabolique n’est jamais aussi efficace que lorsque ses pensées demeurent floues, imprécises, nées d’on ne sait quel fantasme ou vengeance adolescents. Les questions, à ce moment du récit, nous assaillent : quelles sont les motivations de cette étrange éminence grise ? S’agit-il d’une âme magnanime quelque peu excessive ou d’un dangereux schizophrène ? Et, plus pragmatique, l’immanquable et hitchcockienne : « Mais qui va tuer Harry ? » C’est d’ailleurs lors du passage à l’acte que les choses se compliquent. Et si Moll a l’intelligence de laisser planer le mystère sur la personnalité de son héros, les meurtres commis semblent presque convenus, produits d’une logique certes machiavélique, mais imparable. L’intrigante mise en place de la première heure s’effondre alors, saccagée par l’exécution trop policée des crimes d’Harry. Tout comme son personnage, Moll envisage des solutions grossières, comblant comme il peut les spéculations du spectateur qui, lui, espérait tout autre chose, loin du distinguo rébarbatif entre la raison et la pulsion, l’inconscient (Harry), avide de création et de liberté, et le surmoi (Michel), père de famille submergé par les contraintes matérielles et affectives. Bien que la démonstration soit plaisante, notamment grâce aux acteurs, on ressort de la salle avec la désagréable sensation d’avoir assisté à un spectacle des plus vains.