La réussite du premier film de Cordier, Douches froides, fut d’autant plus une révélation que le film arpentait un terrain miné. Emois adolescents + lutte des classes + naturalisme à la française : Douches froides à la fois abordait de front ce tableau plutôt chargé et, par la grâce d’une écriture assez subtile, parvenait non seulement à le rendre supportable mais encore à le rehausser d’une vigueur et d’une sensualité rares et bienvenues. À son tour Happy few force l’entrée d’un territoire très français, plus riche celui-ci, qui n’a rien pour inspirer confiance. Deux couples vaguement bobos font connaissance, se plaisent, entament un flirt échangiste dont l’hédonisme de façade (le « Aimez qui vous voulez » un peu faux-derche de l’affiche) évidemment débouche sur une crispation sentimentale, débriefée aléatoirement entre cuisine moderne et jardin coquet de maison de campagne. Ce cadre-là inquiète, et on voit bien que le film en est très conscient, s’efforçant avec une application un peu volontariste à contourner les écueils promis par un tel paysage (faire un film bourgeois, verser dans la morale). La précision, la relative finesse qui guide Cordier dans ce gymkhana, renvoie à ce qui faisait la qualité de Douches froides mais l’effet est inverse : ici la précision étrangle ce qu’alors elle aidait à libérer.
L’écart est sensible particulièrement dans les scènes de cul, inattendues et réussies dans Douches froides, ici plates, éteintes, terriblement crispées. Aucun trouble ici parce que ces scènes sont de pures fonctions de scénario, chevilles parmi d’autres pour faire se déplier la mécanique d’une écriture qui n’est pas sans qualités mais qui a le défaut, redoutable, d’être extrêmement voyante. L’hypothèse des couples emmêlés, Cordier s’en saisit comme d’un dispositif, une simple configuration. Soit Foïs / Zem + Bouchez / Duvauchelle, qui débouche au lit sur Foïs / Duvauchelle + Bouchez / Zem, ou aussi bien, mais seulement dans la coulisse des confessions et des mises au point : Foïs / Bouchez + Zem / Duvauchelle. C’est pour le scénario un enjeu purement mathématique, une logique combinatoire dont le déroulé est vite prévisible : une combinaison accouche d’un événement (par exemple : au lit, Duvauchelle violente un peu Foïs, qui découvre qu’elle aime ça), dont les répercussions seront pistées dans les autres combinaisons possibles (revenue dans le lit conjugal et immanquablement, Foïs réclame une gifle à Zem). Dans cette grande toile tissée serrée par le scénario, les acteurs sont vraiment bons (Duvauchelle compris) mais en même temps condamnés à n’exceller que dans le registre limité de la technique – Foïs par exemple, parfaite sur un mode qui est à la limite du tic : une manière de feindre l’indifférence en faisant monter sa voix et en appuyant légèrement sur les consonnes. Cernés par l’écriture, ils semblent bien à l’étroit, pris au même piège que les qualités de Cordier, toujours repérables ici et là et auxquelles on souhaite seulement de retrouver un peu d’air.