Deux musicos de la Havane rêvent d’échapper à la misère en tentant leur chance auprès d’une productrice espagnole en quête de jeunes talents. Ça marche : on leur promet monts et merveilles avant d’imposer quelques clauses gênantes à leur contrat. Entre autres rabais salariaux, être obligé de saquer le régime de Fidel dans leurs textes et du coup, ne plus jamais revenir à Cuba. Vaste dilemme mais moteur fictionnel aussi vieux qu’une Plymouth 53, il y a beaucoup de ça dans Habana blues, nouveau métrage de Benito Zambrano (Solas), espagnol exilé depuis douze ans dans le dernier bastion communiste. Bon à savoir, parce qu’à vue de nez, le film n’a rien de l’antibiotique contre les clichés. C’est même tout le contraire, tant il semble avoir été conçu par un touriste repu aux formules des tours opérateurs qui fleurissent sur l’île depuis la chute du mur de Berlin.
On n’ira pas jusqu’à dire qu’Habana blues est un film de propagande, mais il n’empêche que le politique y est soigneusement contrôlé. Aux dénonciations, Zambrano leur accouple des images consensuelles, des compromis de scénario parfois proches du grotesque, voire du révisionnisme lorsque les groupes tous plus virulents les uns que les autres refusent d’insérer des messages anti-castristes prétextant ne pas vouloir faire de politique. De même pour la misère matérielle, plutôt séduisante ici, en tout cas complaisamment exotique. On passe sur la belle américaine vachement sympa à filmer en toutes circonstances (en panne ou vrombissant dans la vieille ville) ou le loft du chanteur (très beau lui aussi), avec patio et meubles en rotin, vraiment un bel appart qu’on aimerait presque pouvoir retrouver dans le Routard.
Zambrano peut toujours prétexter faire oeuvre de réalisme tropical, ou prôner la gaie indolence des cubains face aux vicissitudes de la vie, tout cela est un peu fastoche. Pire, c’est surtout éprouvé comme formule que le propos s’acidule légèrement (le beau chanteur utilisé comme sextoy par la productrice), d’autant que l’ode à la musique alternative et le jeunisme ambiant (montage cut, filmage de la musique façon Taratata) parachèvent la standardisation du film, qui se termine sur un dernier antagonisme. L’un reste pendant que l’autre part et le cinéaste rend hommage à « l’île la plus belle du monde ». Traduction : chacun sa route, chacun son chemin. Décryptage : à Cuba, on peut partir ou vouloir rester, c’est plus cool qu’on ne croit.