Décidément le cas Ozon n’est pas simple à démêler et chacun de ses films, sans nous convaincre totalement, nous intrigue. Si l’on admire la diversité stylistique -plus que thématique- de ses films (la sécheresse de Regarde la mer s’opposant par exemple au lyrisme de conte de fées des Amants criminels), force est de reconnaître que quelque chose d’encore incertain manque pour transformer les films de François Ozon en objets aboutis. Gouttes d’eau sur pierres brûlantes perpétue ce malaise et nous laisse une nouvelle fois perplexes. Adaptée d’une pièce de théâtre que Rainer Werner Fassbinder a composée à 19 ans sans jamais l’avoir montée par la suite, l’histoire contient en germe le sujet d’une des plus cruelles œuvres du cinéaste allemand, Le Droit du plus fort. Il y est ainsi question d’un couple au sein duquel sévit un système impitoyable dominé-dominant. Léopold, la cinquantaine fringante, séduit Franz, un jeune hétéro qui va vite virer sa cuti. Une fois passés les charmes de la nouveauté, Léopold s’ennuie et entame, comme avec chacun de ses précédents amants, une entreprise de soumission de l’autre.
De l’origine théâtrale de l’histoire, Ozon garde surtout l’atmosphère de huis clos et enferme ses personnages dans un même appartement soigneusement remis au goût des années 70. Sa mise en scène investit avec aisance ce lieu confiné pour composer un style dynamique qui évite habilement l’impression de théâtre filmé. La division en actes que l’on retrouve à l’écran indique qu’Ozon garde du récit de Fassbinder son abstraction qui l’écarte du réel. Exacerbées, les émotions se muent rapidement et la jeune fille farouche devient en l’espace de quelques minutes une vraie bombe sexuelle. Car ce qui compte n’est pas l’histoire, mais la gamme variée de relations qu’elle implique. Sur ce point, Ozon s’en sort honorablement, bien aidé en cela par la surprenante composition de Bernard Giraudeau en homo « erectus » sadique.
En revanche, on a plus de mal à suivre le cinéaste dans la relecture drolatique qu’il impose à cette sordide histoire. Croyant déceler dans cette dernière quelques notes d’humour insoupçonnées, le cinéaste traite le récit de Fassbinder sur le mode de la comédie. Difficile alors de ne pas trouver lourdaude et cliché la diction de certains dialogues qui sous-tendent des allusions graveleuses pendant la scène de drague de Léopold. Ou bien encore dans ce plan rapproché sur la braguette de Giraudeau (allusion maladroite et gratuite à celui sur Terence Stamp dans Théorème de Pasolini). Si la chorégraphie que les personnages improvisent à un moment du film fonctionne, c’est parce que, là, Ozon trouve le ton qui convient, l’absurdité, et aussi parce qu’elle implique, derrière son apparente futilité, un enjeu pragmatique, dramatique par la suite : le geste de Léopold qui stoppe brusquement le disque indique à ses compagnons qu’on arrête de minauder et qu’on va baiser. L’alchimie ne s’étend malheureusement pas à l’ensemble du film et, au final, Gouttes d’eau sur pierres brûlantes reste coincé à mi-chemin entre la pantalonnade gay et la tragédie cruelle.