Takeshi Kitano n’a pas la grande forme, c’est une certitude. C’est lui-même qui nous le disait dans son dernier film, Takeshis’, sorte de 8 ½ revu et corrigé à la sauce du nippon tabasseur à l’oeil clignotant : livrée à l’agonie du dédoublement, la superstar Beat Takeshi (héros de la télé japonaise) s’y confondait avec un benêt halluciné prêt à lui chourer sa place à la moindre occasion. Cette fois c’est pire : le cinéaste a carrément son double de plastique pour compère, un mannequin qu’il trimballe partout avec lui, au point de lui faire passer des examens médicaux pour vérifier son état de santé mentale. Bonjour l’ambiance. Entre deux séances d’analyse (dont le diagnostic final se résume à un triste : « cerveau cassé »), Kitano tente tant bien que mal de se relancer, réalisant des petits films commerciaux touchant tous les genres (mélo, horreur, chambara, SF…) pour se prouver qu’il n’est pas fini. Au vu de résultats tous plus nonsensiques les uns que les autres, c’est raté.
Et pourtant, ce parti-pris kamikaze agit bien comme un électrochoc : loin de l’atmosphère policée, nostalgique et vieillotte de Takeshis’, Glory to the filmmaker ! renoue avec l’absurdité et la sauvagerie narrative de Getting any ?. Non que l’ambiance soit vraiment top délire – le film est même plutôt éprouvant et semble ne jamais vouloir finir -, mais il engage une énergie du désespoir conciliant gratuité loufoque et précision documentaire. Dans cette atmosphère à la fois patibulaire et bariolée, le thème du double rayonne de manière un peu macabre (le rire diabolique du méchant, la mécanisation de tous les gestes), laissant Kitano parader en silence au milieu d’une galerie de démons et de clowns démantibulés, à l’image de cette scène invraisemblable dans laquelle le cinéaste-acteur tente de frapper un karatéka sans y parvenir. Réduit à cette impuissance des coups, moulinant dans le vide, l’ex-prédateur absolu du cinéma japonais semble s’épuiser comme dans un cauchemar : pas forcément rassurant pour l’avenir de Kitano, mais tout à fait passionnant quant à sa façon de se mettre éternellement en scène.